Histoire du mouvement ouvrier Tome I : 1830-1871
Histoire du mouvement ouvrier Tome I : 1830-1871
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Édouard Dolléans, <strong>Histoire</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>ouvrier</strong>, <strong>Tome</strong> I : <strong>1830</strong>-<strong>1871</strong> (1948) 154<br />
Unissons nos efforts comme les hirondelles,<br />
Comme les bois, les flots, comme les pauvres fleurs ;<br />
Unissons nos esquifs pour traverser la vie,<br />
Comme une mer orageuse où toute âme est suivie<br />
D'un long cortège de douleurs. »<br />
C'est à nous prolétaires à déchirer le voile qui couvre notre misère. Cette phrase<br />
résume le sentiment qui pousse, pendant les années 40, un certain nombre d'<strong>ouvrier</strong>s à<br />
exprimer leurs souffrances et leurs espérances. Elle est d'Adolphe Boyer, cet <strong>ouvrier</strong><br />
compositeur qui a dépensé ses dernières ressources pour publier un petit livre avant de<br />
se suicider : « Quelque imparfaite, dit Adolphe Boyer, que soit notre é<strong>du</strong>cation intellectuelle,<br />
mettons-nous à l'œuvre, posons par instants la lime et le marteau et prenons<br />
la plume ; disons nos besoins, proclamons nos droits, et demandons justice par tous<br />
les moyens moraux et légaux en notre pouvoir. »<br />
Le besoin de déchirer le voile de leur misère a suscité, parmi les <strong>ouvrier</strong>s, des<br />
écrivains qui avaient assez de modestie pour se savoir souvent inhabiles. Seuls, quelques<br />
poètes <strong>ouvrier</strong>s ont été gâtés par les louanges de leurs illustres confrères. Un tout<br />
petit nombre seulement étaient comme Savinien Lapointe, ce cordonnier que Béranger<br />
avait sacré poète, et qui lui avait répon<strong>du</strong> : « Puisque vous le dites, je le crois. »<br />
Comme George Sand, avec douceur, conseillait à Lapointe de mieux prendre ses mesures,<br />
- ses alexandrins avaient 13 et 14 pieds, - il avait riposté avec humeur : « Vous<br />
n'aimez donc pas le peuple ? » Comment la faible tête de Savinien Lapointe auraitelle<br />
résisté aux louanges dont il était abreuvé ? Victor Hugo, en lui ouvrant sa porte,<br />
ne s'était-il pas écrié : « Entrez, monsieur. Entrez, les poètes sont des rois ! 60 »<br />
Mais, encore une fois, ce ne sont là que cas exceptionnels. Et, dans l'ensemble, les<br />
écrits des <strong>ouvrier</strong>s valent par leur sincérité et une fraîcheur ingénue. Au point de vue<br />
de l'histoire et de la psychologie ouvrières, ils ont une valeur documentaire irremplaçable.<br />
Parmi les littérateurs de l'époque, qui ont accueilli avec sympathie les écrivains<br />
<strong>ouvrier</strong>s, il en est un qui, quoi qu'on en ait pu dire, a mieux senti leur âme que nul<br />
autre : c'est George Sand.<br />
Aucun autre n'a exprimé, avec autant de finesse qu'elle, le sentiment d'émotion<br />
admirative qu'on éprouve en présence d'hommes tels que Jérôme-Pierre Gilland dont<br />
elle préface Les Conteurs <strong>ouvrier</strong>s :<br />
60<br />
SAVINIEN LAPOINTE, Mémoires sur Béranger, souvenirs, confidences, opinions, anecdotes, lettres,<br />
recueillis et mis en ordre, Paris, G. Havard, 1857, in-8°, 302 p.; le bon Savinien y parle de luimême<br />
avec innocence. - Une voix d'en bas, Paris, 1844, suivie de lettres de Victor Hugo, de Béranger,<br />
de Léon Golzan : « On vous a déjà distingué, vous, jeune poète, mûri non au beau soleil de<br />
l'aisance, mais aux pâles rayons qui tombent d'étage en étage au fond d'une boutique de cordonnier.<br />
Votre muse est la pauvre jeune fille qui vend des violettes au coin des carrefours... Votre<br />
fleuve antique, l'eau de la rue. »<br />
Et VINÇARD AÎNÉ, Mémoires épisodiques d'un vieux chansonnier saint-simonien, Paris, 1848,<br />
nouvelle édition, E. Dentu, 1878. (Bib. Nat., in-8°, Ln27 30815).