Histoire du mouvement ouvrier Tome I : 1830-1871
Histoire du mouvement ouvrier Tome I : 1830-1871
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Édouard Dolléans, <strong>Histoire</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>ouvrier</strong>, <strong>Tome</strong> I : <strong>1830</strong>-<strong>1871</strong> (1948) 146<br />
La main de la Russie ou l'or anglais ? « Nous avons enten<strong>du</strong> parler d'or répan<strong>du</strong> à<br />
foison, disent Le Capitole et Le Constitutionnel <strong>du</strong> 6 septembre ; nous avons enten<strong>du</strong><br />
dire que des hommes étrangers aux professions coalisées étaient allés se mêler aux<br />
<strong>ouvrier</strong>s véritables. »<br />
Un mot d'ordre <strong>du</strong> Quai d'Orsay, et tous les journaux de répéter en chœur : « L'or<br />
vient de l'étranger, de nos ennemis, des partis qui nous sont hostiles. » Une tradition<br />
commence.<br />
La police fabrique le complot grâce à un certain nombre de papiers saisis sur les<br />
<strong>ouvrier</strong>s arrêtés. Papiers mystérieux, révélateurs : « De l'argent a été répan<strong>du</strong>, on découvrira<br />
sans doute qui l'a distribué et d'où il vient. » Le journal Le Droit affirme que<br />
« ce n'est pas sans motif que l'opinion publique présumait que le <strong>mouvement</strong> insurrectionnel<br />
des <strong>ouvrier</strong>s avait été excité par des meneurs. Ce matin on a arrêté un indivi<strong>du</strong><br />
nanti d'une grande quantité de cartes destinées à être distribuées, en échange<br />
desquelles les porteurs peuvent se faire distribuer, aux adresses indiquées, des aliments<br />
et <strong>du</strong> vin : il avait aussi à sa disposition une somme considérable d'or ».<br />
Mais l'or de l'étranger est une explication qui fait long feu. Aussi le mot d'ordre <strong>du</strong><br />
Quai d'Orsay change-t-il vite : le ministre de l'intérieur écrit au garde des sceaux, le 6<br />
septembre : « Ayant appris que quelques chefs de sociétés secrètes s'occupaient d'exploiter<br />
dans un intérêt républicain les attroupements d'<strong>ouvrier</strong>s qui ont eu lieu depuis<br />
quelques jours, M. le préfet de police a décerné des mandats de perquisition et d'amener<br />
contre plusieurs meneurs qui étaient plus particulièrement signalés. » Il y a lieu de<br />
réprimer les menées des républicains. Et la comédie <strong>du</strong> complot s'achève par des perquisitions<br />
et des arrestations. Dourville, <strong>du</strong> Journal <strong>du</strong> Peuple, un des chefs de la Société<br />
des Travailleurs Égalitaires, Rozier, qui avait parlé au banquet communiste,<br />
sont arrêtés et inculpés comme complices des coalitions d'<strong>ouvrier</strong>s.<br />
Et, à côté de ceux-ci, les directeurs et rédacteurs <strong>du</strong> National, <strong>du</strong> Journal <strong>du</strong> Peuple,<br />
suspects de sympathie pour les grévistes, sont inquiétés. On saisit aussi certaines<br />
publications comme L'Organisation <strong>du</strong> Travail de Louis Blanc, qui venait de paraître<br />
en brochure, parce que l'auteur « se plaisait à exagérer les souffrances de la classe<br />
pauvre ».<br />
Mais les arrestations politiques furent peu nombreuses comparativement à celles<br />
qui frappèrent les <strong>ouvrier</strong>s grévistes : 140 fileurs, 62 menuisiers, 38 <strong>ouvrier</strong>s en voiture,<br />
29 tailleurs de pierre, 6 serruriers, 14 tailleurs d'habits, 5 relieurs, une dizaine de<br />
corroyeurs, terrassiers, coiffeurs, bonnetiers, cordonniers et 105 de divers autres corps<br />
d'état, soit au total 409 arrestations.<br />
Devant le tribunal correctionnel, le 8 septembre, le procureur <strong>du</strong> roi réclame les<br />
peines les plus sévères, car « si depuis quelque temps un certain malaise a envahi le<br />
commerce, il ne s'est fait sentir que parmi les chefs d'entreprises : mais jusqu'ici aucune<br />
souffrance n'a pénétré dans la classe ouvrière ».<br />
Le 11 septembre, le même avocat <strong>du</strong> roi admoneste le patron filateur Gobert, qui<br />
s'est permis de déclarer que ses <strong>ouvrier</strong>s n'ont pas formé de coalition: « M. Gobert<br />
vient ici patroniser ses <strong>ouvrier</strong>s, il vient garantir leur bonne con<strong>du</strong>ite : mais le minis-