Histoire du mouvement ouvrier Tome I : 1830-1871
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Édouard Dolléans, <strong>Histoire</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>ouvrier</strong>, <strong>Tome</strong> I : <strong>1830</strong>-<strong>1871</strong> (1948) 202<br />
premier chapitre de La Capacité politique, racontant la soirée <strong>du</strong> 1 er juin 1863, il marque<br />
l'antipathie que les <strong>ouvrier</strong>s parisiens ont pour le Paris neuf d'Haussmann :<br />
« Paris, entendiez-vous dire de tous côtés, revenu depuis vingt jours à la vie politique,<br />
se réveillait de sa torpeur, il se sentait vivre, les souffles révolutionnaires l'animaient.<br />
Ah ! s'écriaient ceux qui s'étaient posés en chefs <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong>, ce n'était<br />
plus à cette heure la ville neuve, monotone et fatigante de M. Haussmann, avec ses<br />
boulevards rectilignes, avec ses hôtels gigantesques, avec ses quais magnifiques, mais<br />
déserts, avec son fleuve attristé, qui ne porte plus que des pierres et <strong>du</strong> sable, avec ses<br />
gares de chemins de fer qui, remplaçant les ports de l'antique cité, ont détruit sa raison<br />
d'être ; avec ses squares, ses théâtres neufs, ses casernes neuves, son macadam, ses<br />
légions de balayeurs et son affreuse poussière... Ville cosmopolite où ne se reconnaît<br />
plus l'indigène. C'était le Paris des anciens jours, dont le fantôme apparaissait à la<br />
clarté des étoiles, aux cris poussés tout bas de : Vive la Liberté. »<br />
La puissance nouvelle, la féodalité financière, note Proudhon dès 1855, « a tout<br />
envahi... l'improbité règne dans les mœurs... la piraterie dans les affaires... » Mais il<br />
n'est pas le seul à constater la corruption qui règne dans l'entourage de l'Empereur.<br />
Dans ses Mémoires sur le second Empire, un des hommes <strong>du</strong> 2 décembre, M. de<br />
Maupas, note que « là fut incontestablement le premier point vulnérable pour l'Empire...<br />
on en attribuait les responsabilités à quelques importantes indivi<strong>du</strong>alités politiques<br />
à la tête desquelles figurait M. de Morny. Ce qui touchait aux affaires in<strong>du</strong>strielles<br />
avait éveillé plus que des murmures 80 ». Maupas attribue la suppression, en<br />
1853, <strong>du</strong> ministère de la Police générale « aux incessants efforts de la coterie financière<br />
» et au fait qu'il ne voulait pas fermer les yeux.<br />
Dans un livre sur L'Empire in<strong>du</strong>striel paru en 1869 81 , un précurseur de Francis<br />
Delaisi, Georges Duchêne, analyse les formes de cette spéculation et corruption financières<br />
; selon son expression « la part des écumeurs », ce sont les profits réalisés<br />
des gaspillages. Dès cette époque, les pouvoirs publics favorisent les grandes affaires ;<br />
les lois ne s'appliquent pas à celles-ci ; la féodalité financière domine l'État : elle attend<br />
de lui et en reçoit complaisances et privilèges : « dans toutes les relations avec le<br />
pouvoir, c'est la finance qui fait la loi, quels que soient les arrêtés et les cahiers des<br />
charges stipulés par les ministres ». Et Georges Duchêne montre la manœuvre de la<br />
finance contre les actionnaires tout comme contre les salariés.<br />
On compte sur le développement de l'activité in<strong>du</strong>strielle et l'exécution des grands<br />
travaux pour gagner les classes laborieuses à un régime de prospérité matérielle, qui<br />
endormirait leurs velléités d'indépendance. Le prince-président n'avait-il pas luimême,<br />
en 1844, promis l'extinction <strong>du</strong> paupérisme à une classe ouvrière docile, disciplinée,<br />
auprès de laquelle les conseillers prud'hommes joueraient le rôle des sousofficiers<br />
dans l'armée ? On donnerait aux travailleurs un emploi régulier, mais à une<br />
condition : il leur suffirait de renoncer à leur désir intempestif d'organisation.<br />
80 MAUPAS, 2 vol., E. Dentu, 1884.<br />
81 GEORGES DUCHÊNE, L'Empire in<strong>du</strong>striel, <strong>Histoire</strong> critique des concessions in<strong>du</strong>strielles et financières<br />
<strong>du</strong> second Empire. Paris, Librairie Centrale, 1869.