Histoire du mouvement ouvrier Tome I : 1830-1871
Histoire du mouvement ouvrier Tome I : 1830-1871
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Édouard Dolléans, <strong>Histoire</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>ouvrier</strong>, <strong>Tome</strong> I : <strong>1830</strong>-<strong>1871</strong> (1948) 26<br />
Le grand <strong>mouvement</strong> qui commence en France et en Grande-bretagne entre <strong>1830</strong><br />
et 1836 n'a pas besoin d'hommes politiques. Tout an contraire, il doit les redouter. Les<br />
chefs de partis ne songent qu'à régner et à <strong>du</strong>rer. .<br />
Ce <strong>mouvement</strong> fera craquer les cadres des partis. Ceux-ci, au cours <strong>du</strong> XIXe siècle,<br />
vont chercher à capter ses bonnes grâces, à l'enjôler afin d'accroître leur puissance<br />
et celle des intérêts personnels qu'ils représentent.<br />
Le <strong>mouvement</strong> <strong>ouvrier</strong> sera sans cesse sollicité. Il aura une défiance, instinctive<br />
vis-à-vis des partis. Si, pendant quelque temps, il leur prête sa force, la déception<br />
viendra vite.<br />
Le <strong>mouvement</strong> doit se préserver des politiciens et des doctrinaires qui, par leurs<br />
querelles personnelles, intro<strong>du</strong>isent la division parmi les masses.<br />
Entre <strong>1830</strong> et 1870, en France comme en Grande-Bretagne, les classes laborieuses<br />
sont trop souvent désunies. En Grande-Bretagne, après un admirable élan, le Chartisme<br />
se détruit lui-même. Une des causes de son déclin est la discorde entre réformistes<br />
et révolutionnaires. En France, les antagonismes personnels nuisent autant au<br />
<strong>mouvement</strong> <strong>ouvrier</strong> que les dissensions intérieures luttes brutales et parfois sanglantes<br />
entre compagnons des divers corps d'état, luttes entre compagnons et apprentis. Ces<br />
luttes s'amplifient par les oppositions de sectes et d'écoles. On se divise sur les méthodes,<br />
sur la tactique. On se querelle à propos des indivi<strong>du</strong>s. Les scissions engendrent<br />
d'autres scissions. La première Internationale périra de la main de Karl Marx et de<br />
Bakounine.<br />
L'histoire reconnaît le rayonnement possédé par ceux qu'Henri Bergson appelle<br />
« les créateurs d'émotions ». Le rôle des indivi<strong>du</strong>s peut être faste ou néfaste ; il existe.<br />
Mais le premier rôle, le rôle essentiel et décisif, appartient à et personnage collectif<br />
qu'est le Travailleur, à ces masses qu'on appellera prolétariat. Ce sont ces masses<br />
qui apportent leur vitalité et leur jeunesse à une société en dissolution.<br />
Sauf quelques brusques éclats, les masses gardent leur modération. Cette modération<br />
s'explique par le contact <strong>du</strong> travailleur avec la matière et la résistance des lois<br />
physiques. Celui qui doit gagner son pain quotidien se heurte sans cesse à de <strong>du</strong>res<br />
nécessités.<br />
Leurs besoins, aussi journaliers que leurs travaux, inspirent les revendications des<br />
travailleurs : droit à la vie, droit au travail ; leurs efforts, chaque jour répétés, donnent<br />
à ces revendications une justification jusqu'ici restée sans réponse.<br />
Dans ses commencements, le <strong>mouvement</strong> <strong>ouvrier</strong>, selon la métaphore d'Émile Faguet,<br />
ressemble, par sa confusion et sa violence, à quelque chose « comme le balbutiement<br />
précipité et quelquefois furieux d'un colosse encore enfant ». Mais la souffrance<br />
éprouve la force.<br />
Parce qu'ils ne connaissent pas la corruption de la richesse et le précoce vieillissement<br />
dû à trop de bien-être, les obscurs sont pour la société une source renaissante