Histoire du mouvement ouvrier Tome I : 1830-1871
Histoire du mouvement ouvrier Tome I : 1830-1871
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Édouard Dolléans, <strong>Histoire</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>ouvrier</strong>, <strong>Tome</strong> I : <strong>1830</strong>-<strong>1871</strong> (1948) 51<br />
avec ses principes, il consentit, comme citoyen, à recevoir, pour prix de son travail, un<br />
salaire proportionné à l'état provisoire <strong>du</strong> commerce, mais bien au-dessous de ses besoins<br />
journaliers... Bientôt les métiers qui chômaient depuis longtemps furent couverts<br />
d'étoffes, et l'<strong>ouvrier</strong> qui avait souffert de ces privations sans nombre crut le moment<br />
venu où son sort allait changer. Comptant sur l'humanité de ses protecteurs naturels,<br />
l'<strong>ouvrier</strong> réclama indivi<strong>du</strong>ellement une augmentation de salaire ; il s'était trompé...<br />
L'ordre des choses avait changé ; mais le despotisme, chassé des châteaux, s'était réfugié<br />
dans les comptoirs... Dès lors, la misère devint générale, et l'<strong>ouvrier</strong>, tout en se<br />
livrant à un travail assi<strong>du</strong> de 18 heures par jour, ne pouvait plus suffire aux exigences<br />
de la vie, et bien moins encore acquitter les dettes qu'il avait été forcé de contracter<br />
dans les temps malheureux... Que devait donc faire cette masse d'infortunés citoyens,<br />
pères de famille? Ils se réunissent pour adresser collectivement à leurs juges naturels<br />
leurs réclamations, présentées d'abord indivi<strong>du</strong>ellement et toujours rejetées. »<br />
Des réunions de chefs d'atelier ont lieu à la Croix-Rousse. Chaque quartier est invité<br />
à nommer, par voie d'élection, deux chefs d'atelier à une Commission composée<br />
de 80 membres pris dans les différents quartiers de la ville et dans les divers genres de<br />
fabrication : « La même misère, selon la forte expression de Bernard et Charnier, réunissait<br />
des hommes choisis parmi les plus estimables et les plus considérés, et étrangers<br />
pour la plupart les uns aux autres. » Le maire de la Croix-Rousse assiste aux réunions<br />
et offre sa médiation auprès des autorités.<br />
Le 11 octobre 1831, le Tribunal des prud'hommes prend la délibération suivante :<br />
« Considérant qu'il est de notoriété publique que beaucoup de fabricants paient<br />
des salaires fort minimes, considérant que dans les circonstances actuelles, il importe<br />
d'ôter tout prétexte à la malveillance et de maintenir la tranquillité de la classe malheureuse,<br />
le Conseil décide qu'un tarif minimum soit fixé. »<br />
De son côté, la Chambre de Commerce constate que les <strong>ouvrier</strong>s sont dans un état<br />
de souffrance réelle et qu'une petite minorité des fabricants abuse des circonstances<br />
pour faire des bénéfices scandaleux, qu'il est utile et urgent de venir au secours des<br />
<strong>ouvrier</strong>s par la publication d'un tarif, et que <strong>du</strong> reste cette mesure n'est pas nouvelle,<br />
qu'il y a eu de nombreux précédents.<br />
L'opinion des classes moyennes est favorable à cette revendication. Aussi, lorsque<br />
le maire de la Croix-Rousse l'invite à provoquer l'établissement d'un tarif, le préfet<br />
Bouvier <strong>du</strong> Molart obéit à son cœur sensible aux souffrances des classes laborieuses.<br />
Lorsque les chefs d'atelier lui demandent de soutenir leur revendication, Bouvier <strong>du</strong><br />
Molart décide de réunir une Commission qui paraît la voie légale et normale pour<br />
arriver à l'établissement d'un tarif, puisque, comme le reconnaît la Chambre de Commerce,<br />
il y a des précédents.<br />
Tous les fabricants ne sont pas hostiles au tarif. Un certain nombre d'entre eux y<br />
voient avec plaisir le moyen « de mettre des bornes à ces spéculations sur la faim, à<br />
cette concurrence pernicieuse que la délicatesse désavoue et qui consiste à livrer les<br />
marchandises à tout prix, en ôtant au négociant consciencieux les moyens d'opérer<br />
avec sûreté ».