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Histoire du mouvement ouvrier Tome I : 1830-1871

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Édouard Dolléans, <strong>Histoire</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>ouvrier</strong>, <strong>Tome</strong> I : <strong>1830</strong>-<strong>1871</strong> (1948) 210<br />

Napoléon III imagine un autre procédé pour se concilier les <strong>ouvrier</strong>s de Paris. Il a<br />

nommé son cousin président de la section française à l'Exposition de Londres, qui doit<br />

avoir lieu en 1862. Ne pourrait-on envoyer, sous ces auspices, à cette Exposition, une<br />

délégation ouvrière ? L'idée vient d'Arlès Dufour, in<strong>du</strong>striel saint-simonien et libreéchangiste,<br />

qui l'avait développée dans Le Progrès de Lyon.<br />

Le 2 octobre 1861, un article de L'Opinion Nationale suggère aux <strong>ouvrier</strong>s l'idée<br />

de se cotiser pour envoyer une délégation à l'Exposition de Londres : « Il faut que la<br />

classe ouvrière parisienne s'affirme si elle veut conserver sur les <strong>ouvrier</strong>s des autres<br />

nations cette supériorité qui a, jusqu'à ce jour, assuré notre supériorité sur tous les<br />

marchés. » A l'ironie de cet appel, un <strong>ouvrier</strong> parisien répond dans L'Opinion Nationale<br />

<strong>du</strong> 17 octobre ; sa lettre résume l'état d'esprit des <strong>ouvrier</strong>s parisiens :<br />

« Je crois comme vous que les <strong>ouvrier</strong>s de Paris sont intelligents, et pour ma part,<br />

je vous remercie de l'opinion que vous avez d'eux. Mais comment concilier cette intelligence<br />

avec cette inertie ? Pourquoi ne s'aident-ils pas eux-mêmes ? C'est un reproche<br />

qu'on leur adresse souvent et auquel il n'est pas facile de répondre sans accuser.<br />

Quand l'initiative vient d'en haut, de l'autorité supérieure ou des patrons, elle<br />

n'inspire aux <strong>ouvrier</strong>s qu'une médiocre confiance. Ils se sentent ou se croient dirigés,<br />

con<strong>du</strong>its, absorbés, et les meilleures tentatives sont rarement couronnées de succès.<br />

C'est un fait que je constate sans vouloir discuter ici si les <strong>ouvrier</strong>s ont tort ou raison.<br />

Quand l'initiative vient d'en bas, c'est bien une autre affaire : elle rencontre des impossibilités<br />

matérielles auxquelles elle se heurte. Qu'un Comité exclusivement composé<br />

d'<strong>ouvrier</strong>s se forme en dehors <strong>du</strong> patronage de l'autorité ou des fabricants, qu'il essaye<br />

de former un centre, de grouper autour de lui des adhérents, de réunir des souscriptions,<br />

si inoffensif que soit son but, soyez certain qu'on ne lui permettra pas de l'atteindre.<br />

Aussi faut-il une forte dose de résolution pour se mettre en avant quand, de<br />

plus, toujours à tort ou à raison, les promoteurs se sentent mis à l'index : car un <strong>ouvrier</strong><br />

qui s'occupe de questions politiques, dans le pays <strong>du</strong> suffrage universel, est<br />

considéré comme un homme dangereux ; c'est pis s'il s'occupe de questions sociales...<br />

Mais pourquoi, direz-vous, refuser les conseils de ceux dont les lumières et la bourse<br />

vous seraient d'un si grand concours ? Parce que nous ne nous sentirions pas libres, ni<br />

dans notre but, ni dans notre choix, ni de notre argent, et les plus belles affirmations<br />

ne prévaudront pas contre une opinion qui n'est peut-être que trop justifiée. Il n'y a<br />

qu'un seul moyen, c'est de nous dire : Vous êtes libres, organisez-vous; faites vos affaires<br />

vous-mêmes, nous n'y mettrons pas d'entraves. Notre aide, si vous en avez besoin,<br />

si vous la jugez nécessaire, sera complètement désintéressée, et tant que vous<br />

resterez dans les limites de la question, nous n'interviendrons pas. »<br />

Cette lettre restera un des documents classiques de l'histoire ouvrière, par sa netteté,<br />

son courage et sa lucidité. Tolain, ciseleur en bronze, formule la position qui,<br />

depuis 1832, a été et restera la position nécessaire et inattaquable <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>ouvrier</strong><br />

: la liberté et l'autonomie ouvrières sont les conditions de son existence, de ses<br />

progrès, de ses succès. Toutes les fois où le <strong>mouvement</strong> <strong>ouvrier</strong> est resté fidèle à cette<br />

ligne directrice, il s'est développé ; toutes les fois, au contraire, où, sollicité par les<br />

partis politiques, ou les charmeurs de foule, il a dévié, il a marqué des reculs.<br />

La lettre de Tolain avait une valeur pratique. Elle allait transformer les conditions<br />

dans lesquelles une délégation ouvrière parisienne pourrait aller à Londres.

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