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Histoire du mouvement ouvrier Tome I : 1830-1871

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Édouard Dolléans, <strong>Histoire</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>ouvrier</strong>, <strong>Tome</strong> I : <strong>1830</strong>-<strong>1871</strong> (1948) 59<br />

pos à ces pauvres prolétaires : Vous êtes le premier peuple <strong>du</strong> monde... Excusez-moi<br />

si je me répète : je ne suis qu'un prolétaire, et j'ai besoin d'in<strong>du</strong>lgence...<br />

« Voyez cet autre prolétaire, Christ le Galiléen, qui prêchait l'égalité et la fraternité...<br />

il bouleversa l'ordre établi... il fut en un mot le plus grand perturbateur qu'on ait<br />

encore vu... que deviendrions-nous, grand Dieu ! si quelqu'un de ces misérables s'avisait<br />

de vouloir faire comme ont fait Spartacus et Christ ? Jugez quel désastre si tout à<br />

coup les pauvres, les <strong>ouvrier</strong>s, les cultivateurs… au lieu d'être écrasés sous le poids de<br />

15 heures d'un travail excessif, lorsque toutefois ils travaillent, se trouvaient pouvoir<br />

chaque jour donner un certain temps à la culture, au développement de leur intelligence<br />

; si, au lieu de passer leurs dimanches et leurs moments de repos au cabaret, à<br />

s'enivrer comme des Allemands ou à boxer comme des Anglais, ils pouvaient suivre<br />

des cours élémentaires, acquérir des connaissances au moyen desquelles le travail<br />

deviendrait plus pro<strong>du</strong>ctif et moins pénible ; jugez quel malheur. Non, vous ne le<br />

souffririez pas, et vous auriez raison.<br />

« Je manque d'éloquence. Mais notez bien que, si je n'ai pas d'éloquence, j'ai des<br />

enfants, une femme, une mère même. Cependant, depuis six mois, j'ai per<strong>du</strong> l'habitude<br />

<strong>du</strong> travail. Néanmoins femme, enfants, mère et moi-même, n'avons pas per<strong>du</strong> l'habitude<br />

de manger. A vrai dire, nous n'avons pas encore essayé, mais cela va venir : dans<br />

quelques jours nous n'aurons pas de ressources pécuniaires... J'aurais de la peine à<br />

plaisanter, quand je songe que bientôt je puis entendre crier à mes oreilles « <strong>du</strong> pain »<br />

et me trouver dans l'impossibilité d'en donner...<br />

« Libéraux... réunis au jour <strong>du</strong> danger, riches et prolétaires, oisifs et travailleurs,<br />

tous étaient ralliés, entraînés vers un but commun, tous avaient foi dans leur dieu, la<br />

liberté. Dieu puissant qui enfante des prodiges pour la destruction d'un ordre de choses<br />

vieilli ; mais, après la victoire, lorsqu'il s'est agi de constituer un édifice nouveau,<br />

haletants, épuisés, incertains, ils ont rassemblé à la hâte quelques débris encore fumants.<br />

Chacun a cherché à se faire une petite niche : les plus heureux ont ramassés<br />

quelques solives et quelques tronçons de colonne, ils se sont emparés de quelques<br />

pans de mur, ils se sont barricadés, et le grand nombre, nous tous, prolétaires, nous<br />

sommes restés à l'air, sans abri, sans vêtement, sans pot-au-feu, bientôt nous serons<br />

sans pain... Nous étions dehors à la pluie, à la neige, nous nous sommes plaints : les<br />

hommes <strong>du</strong> dedans qui étaient nantis, bien nourris, bien fourrés, nous ont enten<strong>du</strong>s ;<br />

et, comme ils ont vu que nous pleurions, que nous nous désespérions, ils nous ont pris<br />

en pitié et ils nous ont dit : Pauvres gens ! vous avez faim et froid, ayez patience, nous<br />

avons une recette à vos maux ; et là-dessus, ils se sont mis à danser, à rire, à se réjouir<br />

; ils se sont parés, ils ont bien bu et bien mangé ; puis par la fenêtre, ils nous ont<br />

jeté quelque menue monnaie et quelques bribes, nous promettant de recommencer<br />

l'année prochaine. »<br />

Les masses ouvrières, en cette année 1832, ne se bornent plus è exprimer leurs déceptions<br />

: en France, comme en Grande-Bretagne, elles commencent à s'organiser.<br />

Ce commencement d'organisation, soulignons-le, c'est en grande partie à l'insurrection<br />

de 1831 à Lyon qu'il est dû, comme le montre Fernand Rude dans son beau<br />

livre sur Le Mouvement <strong>ouvrier</strong> à Lyon de 1827 à 1832. Les journées de novembre<br />

ont suscité parmi les républicains la première manifestation réelle de sympathie en-

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