Histoire du mouvement ouvrier Tome I : 1830-1871
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Édouard Dolléans, <strong>Histoire</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>ouvrier</strong>, <strong>Tome</strong> I : <strong>1830</strong>-<strong>1871</strong> (1948) 250<br />
cause seconde. La guerre franco-allemande et ses conséquences naturelles ont rompu<br />
pour un temps l'élan <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>ouvrier</strong>.<br />
Mais de même qu'à certains jours, en montagne, une mer de brouillard intercepte<br />
la vision des hautes cimes, la guerre et les déchirements de l'Internationale ont fait<br />
oublier le magnifique essor <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>ouvrier</strong> en France en 1869 et pendant les<br />
premiers mois de 1870.<br />
En 1866, au Congrès de Genève, l'Internationale en France n'avait que cinq cents<br />
adhérents et, en 1868 ; à peine 2 000. Après le second procès, pendant l'année 1869 et<br />
les premiers mois de 1870, les différentes sections de l'Internationale en France s'élèvent<br />
à 245 000 membres inscrits. Surtout, parallèlement à cet accroissement et le favorisant,<br />
puisque des sociétés ouvrières adhèrent en bloc à l'Internationale, les associations<br />
ouvrières accroissent le nombre de leurs membres et perfectionnent leur organisation<br />
et leurs relations. A Paris et dans les grands centres, les sociétés ouvrières<br />
s'unissent en Chambres fédérales. Les classes ouvrières en France, en décembre 1869,<br />
présentent une première tentative d'organisation horizontale et verticale. Fédérations<br />
de métiers et unions régionales : les deux parties de ce diptyque que devait constituer,<br />
vingt-cinq ans après, à Limoges, en 1895, l'organisation de la Fédération des Bourses<br />
et de la Confédération Générale <strong>du</strong> Travail.<br />
Tout grand progrès humain se tra<strong>du</strong>it par un perfectionnement de l'organisation ; il<br />
résulte de la combinaison de causes économiques et psychologiques. Benoît Malon a<br />
raison de dire que l'Internationale était sortie vivante, non seulement des nécessités de<br />
l'époque, mais des douleurs croissantes de la classe ouvrière.<br />
L'événement a toujours visage humain. La croissance morale et la capacité politique<br />
- enten<strong>du</strong>e au sens où Proudhon emploie cette expression - entre 1868 et 1870,<br />
s'incarnent en quelques hommes qui avaient les vertus des militants : Héligon, André<br />
Murat, Combault, Émile Aubry, Albert Richard, Bastelica, Benoît Malon, Johannard,<br />
Avrial, Frankel, Albert Theisz et Varlin 103 .<br />
Varlin n'aurait voulu pour rien au monde qu'on le distinguât de ses camarades de<br />
croyance et de luttes. Il voyait juste ; d'instinct, il comprenait qu'une œuvre qui reste<br />
fidèle à son inspiration populaire, ne peut être accomplie que par l'étroite entente<br />
d'une équipe d'hommes. Car, lorsqu'une personnalité dominatrice veut lui imprimer<br />
son empreinte, une oeuvre reste fragile parce qu'elle est soumise au risque de l'arbitraire<br />
personnel qu'entraînent les aveuglements de l'orgueil. Pour que leur oeuvre<br />
<strong>du</strong>re, les créateurs doivent renoncer au moi.<br />
Ces hommes possédaient, comme tous les vrais militants, le courage, l'oubli de<br />
soi, la vision de demain et l'esprit réaliste d'organisation.<br />
103 Un important dossier concernant Albert Richard se trouve aux Archives municipales de Lyon<br />
(Série I (2) Police Politique). Cf. ÉDOUARD DOLLÉANS, Lettres de Varlin à A. Richard, 22 juillet<br />
1869 au 28 février 1870, International Institute for social history, Amsterdam, 1937.