Histoire du mouvement ouvrier Tome I : 1830-1871
Histoire du mouvement ouvrier Tome I : 1830-1871
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Édouard Dolléans, <strong>Histoire</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>ouvrier</strong>, <strong>Tome</strong> I : <strong>1830</strong>-<strong>1871</strong> (1948) 292<br />
partout, ce sont les groupes locaux, c'est la foule qui a agi spontanément. Et c'est sans<br />
leur ordre que sont tués les généraux Lecomte et Clément Thomas.<br />
Thiers donne l'ordre d'évacuer Paris, d'évacuer les forts <strong>du</strong> sud ren<strong>du</strong>s par les Allemands,<br />
et même d'évacuer le Mont-Valérien. Dans la soirée <strong>du</strong> 18, Jules Ferry,<br />
maire de Paris, proteste contre l'ordre donné aux troupes de se replier sur Versailles ;<br />
à 7 h. 40 <strong>du</strong> soir, il envoie une dépêche au chef de l'Exécutif : « Allons-nous livrer les<br />
archives de l'Hôtel de Ville ? J'exige un ordre positif pour commettre une telle désertion<br />
et un tel acte de folie. » Thiers lui adresse l'ordre positif qu'il demande.<br />
Thiers part. Alors que les maires de Paris insistent pour faire accepter au gouvernement<br />
un compromis, des élections municipales immédiates et le maintien de la<br />
Garde nationale, Jules Favre leur répond : « On ne traite pas avec des assassins. » Il<br />
obéit aux intentions <strong>du</strong> chef <strong>du</strong> gouvernement. Thiers veut sa bataille de Paris.<br />
Les hommes les plus opposés d'idées, et parmi eux des royalistes, comme le comte<br />
d'Hérisson, officier d'ordonnance de Trochu 142 , sont d'accord pour penser qu'en donnant<br />
à ses ministres l'ordre de fuir Paris, Thiers a prévu, voulu l'insurrection communaliste.<br />
Armand Dayot 143 estime que les négociations (au sujet des canons) devaient<br />
aboutir heureusement au bout de quelques jours. « L'inqualifiable agression <strong>du</strong> 18<br />
mars mit fin à tous les pourparlers. » Faire appel à la force au lieu de la persuasion<br />
c'était, dans l'état de surexcitation des esprits, provoquer une opposition à main armée.<br />
En abandonnant Paris, Thiers a l'intention de laisser croître le <strong>mouvement</strong> révolutionnaire.<br />
En avril 1834, n'avait-il pas suscité. par des agents provocateurs, l'émeute à<br />
Paris, au moment même où elle était écrasée à Lyon ? « Il était d'ailleurs conséquent<br />
avec lui-même, dit Paul Cambon 144 , je l'ai enten<strong>du</strong> raconter, et il l'a répété plusieurs<br />
fois, qu'au 24 février 1848 il avait conseillé au roi Louis-Philippe d'abandonner la<br />
capitale avec l'armée, de refaire ses troupes et de rentrer en force. Il ne fallait pas<br />
s'étonner que, dans une situation pire que celle de 1848, il n'hésitât pas à évacuer Paris.<br />
»<br />
Thiers préfère provoquer Paris par une attitude qui cache mal sa volonté déterminée<br />
de susciter la violence. Quelle autre intention peut-on prêter à des paroles telles<br />
que celles-ci : « Paris nous a donné le droit de préférer la France à la capitale » ? De la<br />
part d'un homme fertile en ruses et d'un politicien aussi habile, peut-on parler de maladresse<br />
? Ne faut-il pas reconnaître que la situation révolutionnaire qui a suivi le 18<br />
mars a été créée, voulue par lui ?<br />
La psychologie de Thiers, son passé portent témoignage de ses intentions secrètes<br />
au 18 mars ; il obéit à la tradition qu'il a toujours suivie au pouvoir : provoquer<br />
l'émeute afin de pouvoir la réprimer sauvagement.<br />
142 Comte D’HÉRISSON, Nouveau Journal d'un officier d'ordonnance, La Commune, Ollendorff, 1889,<br />
p. 68 et suivantes : Thiers a voulu la Commune (chapitre 4).<br />
143 La Revue, 1 er octobre 1901.<br />
144 P AUL CAMBON, Souvenirs <strong>du</strong> 18 mars <strong>1871</strong>, Revue de Paris <strong>du</strong> 1 er avril 1935.