Histoire du mouvement ouvrier Tome I : 1830-1871
Histoire du mouvement ouvrier Tome I : 1830-1871
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Édouard Dolléans, <strong>Histoire</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>ouvrier</strong>, <strong>Tome</strong> I : <strong>1830</strong>-<strong>1871</strong> (1948) 17<br />
une maladie, le manque d'économie, des habitudes ou seulement une occasion fortuite<br />
d'intempérance, et cette famille se trouve dans la plus grande gêne, dans une misère<br />
affreuse, il faut venir à son secours. »<br />
La plus grande gêne, une misère affreuse. Voilà la condition normale des travailleurs<br />
si toutes les circonstances favorables ne sont pas réunies. Or l'une d'entre elles<br />
manque le plus souvent, puisque les chômages sont fréquents et que les <strong>ouvrier</strong>s les<br />
plus favorisés sont rarement employés toute l'année. On peut dire, sans forcer les<br />
conclusions de Villermé, que le budget de la famille ouvrière est sans cesse en déséquilibre.<br />
Villermé cite cet exemple caractéristique de l'instabilité de l'existence ouvrière<br />
: dans une filature de Rouen, en 1831, de l'aveu même <strong>du</strong> filateur, les 6/10 de<br />
ses <strong>ouvrier</strong>s, soit 61 sur 100, en supposant qu'ils fussent continuellement employés, ne<br />
gagnaient pas, chacun en particulier, assez pour se procurer le strict nécessaire : « Dix<br />
centimes par jour au dessus ou bien au-dessous <strong>du</strong> taux nécessaire à l'entretien d'un<br />
travailleur économe et sans famille, suffisent pour le placer dans une sorte d'aisance<br />
ou pour le jeter dans une grande gêne. »<br />
Le coût de la vie, l'alimentation et la race.<br />
Dans La Misère des <strong>ouvrier</strong>s et la marche à suivre pour y remédier 5 , en 1832, le baron<br />
de Morogues a calculé les chiffres <strong>du</strong> budget <strong>ouvrier</strong> dans les villes in<strong>du</strong>strielles. La<br />
dépense nécessaire à une famille composée d'un père, d'une mère et de deux enfants<br />
est, pour la nourriture, de 570 francs, de 130 francs pour le logement, 140 pour les<br />
vêtements, plus 19 francs de divers : soit 860 francs. Sur toutes ces dépenses, l'<strong>ouvrier</strong><br />
ne pourra qu'à grand'peine réaliser un huitième de ré<strong>du</strong>ction : soit 100 francs.<br />
Si cet <strong>ouvrier</strong> et sa famille ne gagnent pas 760 francs, ils seront dans la misère et auront<br />
besoin de l'assistance publique. Ces 760 francs peuvent provenir 1° <strong>du</strong> travail de<br />
l'<strong>ouvrier</strong> pendant 300 jours à 1 fr. 50, soit 450 francs ; 2° de celui de sa femme pendant<br />
200 jours à 90 centimes, soit 180 francs ; 3° de celui de ses enfants pendant 260 jours,<br />
130 francs ; soit au total 760 francs. Au-dessous de ce gain, la famille de l'<strong>ouvrier</strong> des<br />
villes, selon le baron de Morogues, est dans la misère. C'est ce qui se pro<strong>du</strong>it régulièrement<br />
pendant les années de crise où l'<strong>ouvrier</strong> ne travaille pas 300 jours par an.<br />
Pour l'<strong>ouvrier</strong> des campagnes, le baron de Morogues arrive à un total de 620 francs.<br />
Les évaluations d'Alban de Villeneuve Bargemont s'accordent avec celles <strong>du</strong> baron<br />
de Morogues pour la famille de l'<strong>ouvrier</strong> agricole mais, selon lui, le chiffre de 860<br />
est insuffisant pour les familles ouvrières des villes in<strong>du</strong>strielles et de la région <strong>du</strong><br />
Nord de la France.<br />
En fait, bien souvent, surtout en période de crise, l'<strong>ouvrier</strong> est obligé de se contenter<br />
<strong>du</strong> strict nécessaire, tel que Villermé le définit : l'<strong>ouvrier</strong> vit avec trois ou quatre<br />
sous de pain et trois ou quatre sous de pommes de terre. La conséquence d'une telle<br />
5<br />
BARON DE MOROGUES, De la Misère des <strong>ouvrier</strong>s et de la marche à suivre pour y remédier, in-8°,<br />
Huzard, 1832. (Bib. Nat., R 44 581).