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Notre-Dame de Paris – Victor Hugo

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<strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> <strong>Paris</strong> - <strong>Victor</strong> <strong>Hugo</strong><br />

jetée dans cet abîme! Ô ciel! c'est lui qui a tué... c'est lui qui l'a tué! mon Phoebus!»<br />

Ici, éclatant en sanglots et levant les yeux sur le prêtre:<br />

«Oh! misérable! qui êtes-vous? que vous ai-je fait? vous me haïssez donc bien? Hélas!<br />

qu'avez-vous contre moi?<br />

- Je t'aime!» cria le prêtre.<br />

Ses larmes s'arrêtèrent subitement. Elle le regarda avec un regard d'idiot. Lui était tombé<br />

à genoux et la couvait d'un œil <strong>de</strong> flamme.<br />

«Entends-tu? je t'aime! cria-t-il encore.<br />

- Quel amour!» dit la malheureuse en frémissant.<br />

Il reprit:<br />

«L'amour d'un damné.»<br />

Tous <strong>de</strong>ux restèrent quelques minutes silencieux, écrasés sous la pesanteur <strong>de</strong> leurs<br />

émotions, lui insensé, elle stupi<strong>de</strong>.<br />

«Écoute, dit enfin le prêtre, et un calme singulier lui était revenu. Tu vas tout savoir. Je<br />

vais te dire ce que jusqu'ici j'ai à peine osé me dire à moi-même, lorsque j'interrogeais<br />

furtivement ma conscience à ces heures profon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la nuit où il y a tant <strong>de</strong> ténèbres<br />

qu'il semble que Dieu ne nous voit plus. Écoute. Avant <strong>de</strong> te rencontrer, jeune fille, j'étais<br />

heureux...<br />

- Et moi! soupira-t-elle faiblement.<br />

- Ne m'interromps pas.- Oui, j'étais heureux, je croyais l'être du moins. J'étais pur, j'avais<br />

l'âme pleine d'une clarté limpi<strong>de</strong>. Pas <strong>de</strong> tête qui s'élevât plus fière et plus radieuse que la<br />

mienne. Les prêtres me consultaient sur la chasteté, les docteurs sur la doctrine. Oui, la<br />

science était tout pour moi. C'était une sœur, et une sœur me suffisait. Ce n'est pas<br />

qu'avec l'âge il ne me fût venu d'autres idées. Plus d'une fois ma chair s'était émue au<br />

passage d'une forme <strong>de</strong> femme. Cette force du sexe et du sang <strong>de</strong> l'homme que, fol<br />

adolescent, j'avais cru étouffer pour la vie, avait plus d'une fois soulevé convulsivement la<br />

chaîne <strong>de</strong>s vœux <strong>de</strong> fer qui me scellent, misérable, aux froi<strong>de</strong>s pierres <strong>de</strong> l'autel. Mais le<br />

jeûne, la prière, l'étu<strong>de</strong>, les macérations du cloître, avaient refait l'âme maîtresse du<br />

corps. Et puis, j'évitais les femmes. D'ailleurs, je n'avais qu'à ouvrir un livre pour que<br />

toutes les impures fumées <strong>de</strong> mon cerveau s'évanouissent <strong>de</strong>vant la splen<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> la<br />

science. En peu <strong>de</strong> minutes, je sentais fuir au loin les choses épaisses <strong>de</strong> la terre, et je me<br />

retrouvais calme, ébloui et serein en présence du rayonnement tranquille <strong>de</strong> la vérité<br />

éternelle. Tant que le démon n'envoya pour m'attaquer que <strong>de</strong> vagues ombres <strong>de</strong> femmes<br />

qui passaient éparses sous mes yeux, dans l'église, dans les rues, dans les prés, et qui<br />

revenaient à peine dans mes songes, je le vainquis aisément. Hélas! si la victoire ne m'est<br />

pas restée, la faute en est à Dieu, qui n'a pas fait l'homme et le démon <strong>de</strong> force égale.-<br />

Écoute. Un jour...»<br />

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