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Notre-Dame de Paris – Victor Hugo

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<strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> <strong>Paris</strong> - <strong>Victor</strong> <strong>Hugo</strong><br />

violet, azurini coloris et bruni, comme dit la charte du cardinal <strong>de</strong>s Quatre-Couronnes.<br />

En revanche, il était assidu aux gran<strong>de</strong>s et petites écoles <strong>de</strong> la rue Saint-Jean-<strong>de</strong>-<br />

Beauvais. Le premier écolier que l'abbé <strong>de</strong> Saint-Pierre <strong>de</strong> Val, au moment <strong>de</strong> commencer<br />

sa lecture <strong>de</strong> droit canon, apercevait toujours collé vis-à-vis <strong>de</strong> sa chaire à un pilier <strong>de</strong><br />

l'école Saint-Vendregesile, c'était Clau<strong>de</strong> Frollo, armé <strong>de</strong> son écritoire <strong>de</strong> corne, mâchant<br />

sa plume, griffonnant sur son genou usé, et l'hiver soufflant dans ses doigts. Le premier<br />

auditeur que messire Miles d'Isliers, docteur en Décret, voyait arriver chaque lundi matin,<br />

tout essoufflé, à l'ouverture <strong>de</strong>s portes <strong>de</strong> l'école du Chef-Saint-Denis, c'était Clau<strong>de</strong><br />

Frollo. Aussi, à seize ans, le jeune clerc eût pu tenir tête, en théologie mystique à un père<br />

<strong>de</strong> l'église, en théologie canonique à un père <strong>de</strong>s conciles, en théologie scolastique à un<br />

docteur <strong>de</strong> Sorbonne.<br />

La théologie dépassée, il s'était précipité dans le Décret. Du Maître <strong>de</strong>s Sentences, il était<br />

tombé aux Capitulaires <strong>de</strong> Charlemagne. Et successivement il avait dévoré, dans son<br />

appétit <strong>de</strong> science, décrétales sur décrétales, celles <strong>de</strong> Théodore, évêque d'Hispale, celles<br />

<strong>de</strong> Bouchard, évêque <strong>de</strong> Worms, celles d'Yves, évêque <strong>de</strong> Chartres; puis le Décret <strong>de</strong><br />

Gratien qui succéda aux Capitulaires <strong>de</strong> Charlemagne; puis le recueil <strong>de</strong> Grégoire IX; puis<br />

l'épître Super specula d'Honorius III. Il se fit claire, il se fit familière cette vaste et<br />

tumultueuse pério<strong>de</strong> du droit civil et du droit canon en lutte et en travail dans le chaos du<br />

moyen âge, pério<strong>de</strong> que l'évêque Théodore ouvre en 618 et que ferme en 1227 le pape<br />

Grégoire.<br />

Le Décret digéré, il se jeta sur la mé<strong>de</strong>cine, et sur les arts libéraux. Il étudia la science<br />

<strong>de</strong>s herbes, la science <strong>de</strong>s onguents. Il <strong>de</strong>vint expert aux fièvres et aux contusions, aux<br />

navrures et aux apostumes. Jacques d'Espars l'eût reçu mé<strong>de</strong>cin physicien, Richard<br />

Hellain, mé<strong>de</strong>cin chirurgien. Il parcourut également tous les <strong>de</strong>grés <strong>de</strong> licence, maîtrise et<br />

doctorerie <strong>de</strong>s arts. Il étudia les langues, le latin, le grec, l'hébreu, triple sanctuaire alors<br />

bien peu fréquenté. C'était une véritable fièvre d'acquérir et <strong>de</strong> thésauriser en fait <strong>de</strong><br />

science. À dix-huit ans, les quatre facultés y avaient passé. Il semblait au jeune homme<br />

que la vie avait un but unique: savoir.<br />

Ce fut vers cette époque environ que l'été excessif <strong>de</strong> 1466 fit éclater cette gran<strong>de</strong> peste<br />

qui enleva plus <strong>de</strong> quarante mille créatures dans la vicomté <strong>de</strong> <strong>Paris</strong>, et entre autres, dit<br />

Jean <strong>de</strong> Troyes, «maître Arnoul, astrologien du roi, qui était fort homme <strong>de</strong> bien, sage et<br />

plaisant». Le bruit se répandit dans l'Université que la rue Tirechappe était en particulier<br />

dévastée par la maladie. C'est là que résidaient, au milieu <strong>de</strong> leur fief, les parents <strong>de</strong><br />

Clau<strong>de</strong>. Le jeune écolier courut fort alarmé à la maison paternelle. Quand il y entra, son<br />

père et sa mère étaient morts <strong>de</strong> la veille. Un tout jeune frère qu'il avait au maillot vivait<br />

encore et criait abandonné dans son berceau. C'était tout ce qui restait à Clau<strong>de</strong> <strong>de</strong> sa<br />

famille. Le jeune homme prit l'enfant sous son bras, et sortit pensif. Jusque-là il n'avait<br />

vécu que dans la science, il commençait à vivre dans la vie.<br />

Cette catastrophe fut une crise dans l'existence <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong>. Orphelin, aîné, chef <strong>de</strong> famille<br />

à dix-neuf ans, il se sentit ru<strong>de</strong>ment rappelé <strong>de</strong>s rêveries <strong>de</strong> l'école aux réalités <strong>de</strong> ce<br />

mon<strong>de</strong>. Alors, ému <strong>de</strong> pitié, il se prit <strong>de</strong> passion et <strong>de</strong> dévouement pour cet enfant, son<br />

frère; chose étrange et douce qu'une affection humaine à lui qui n'avait encore aimé que<br />

<strong>de</strong>s livres.<br />

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