23.07.2014 Views

Notre-Dame de Paris – Victor Hugo

Notre-Dame de Paris – Victor Hugo

Notre-Dame de Paris – Victor Hugo

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

<strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> <strong>Paris</strong> - <strong>Victor</strong> <strong>Hugo</strong><br />

Ici le prêtre s'arrêta, et la prisonnière entendit sortir <strong>de</strong> sa poitrine <strong>de</strong>s soupirs qui<br />

faisaient un bruit <strong>de</strong> râle et d'arrachement.<br />

Il reprit:<br />

«...Un jour, j'étais appuyé à la fenêtre <strong>de</strong> ma cellule...- Quel livre lisais-je donc? Oh! tout<br />

cela est un tourbillon dans ma tête.- Je lisais. La fenêtre donnait sur une place. J'entends<br />

un bruit <strong>de</strong> tambour et <strong>de</strong> musique. Fâché d'être ainsi troublé dans ma rêverie, je regar<strong>de</strong><br />

dans la place. Ce que je vis, il y en avait d'autres que moi qui le voyaient, et pourtant ce<br />

n'était pas un spectacle fait pour <strong>de</strong>s yeux humains. Là, au milieu du pavé,- il était midi,-<br />

un grand soleil,- une créature dansait. Une créature si belle que Dieu l'eût préférée à la<br />

Vierge, et l'eût choisie pour sa mère, et eût voulu naître d'elle si elle eût existé quand il se<br />

fit homme! Ses yeux étaient noirs et splendi<strong>de</strong>s, au milieu <strong>de</strong> sa chevelure noire quelques<br />

cheveux que pénétrait le soleil blondissaient comme <strong>de</strong>s fils d'or. Ses pieds disparaissaient<br />

dans leur mouvement comme les rayons d'une roue qui tourne rapi<strong>de</strong>ment. Autour <strong>de</strong> sa<br />

tête, dans ses nattes noires, il y avait <strong>de</strong>s plaques <strong>de</strong> métal qui pétillaient au soleil et<br />

faisaient à son front une couronne d'étoiles. Sa robe semée <strong>de</strong> paillettes scintillait bleue et<br />

piquée <strong>de</strong> mille étincelles comme une nuit d'été. Ses bras souples et bruns se nouaient et<br />

se dénouaient autour <strong>de</strong> sa taille comme <strong>de</strong>ux écharpes. La forme <strong>de</strong> son corps était<br />

surprenante <strong>de</strong> beauté. Oh! la resplendissante figure qui se détachait comme quelque<br />

chose <strong>de</strong> lumineux dans la lumière même du soleil!...- Hélas! jeune fille, c'était toi.-<br />

Surpris, enivré, charmé, je me laissai aller à te regar<strong>de</strong>r. Je te regardai tant que tout à<br />

coup je frissonnai d'épouvante, je sentis que le sort me saisissait.»<br />

Le prêtre, oppressé, s'arrêta encore un moment. Puis il continua.<br />

«Déjà à <strong>de</strong>mi fasciné, j'essayai <strong>de</strong> me cramponner à quelque chose et <strong>de</strong> me retenir dans<br />

ma chute. Je me rappelai les embûches que Satan m'avait déjà tendues. La créature qui<br />

était sous mes yeux avait cette beauté surhumaine qui ne peut venir que du ciel ou <strong>de</strong><br />

l'enfer. Ce n'était pas là une simple fille faite avec un peu <strong>de</strong> notre terre, et pauvrement<br />

éclairée à l'intérieur par le vacillant rayon d'une âme <strong>de</strong> femme. C'était un ange! mais <strong>de</strong><br />

ténèbres, mais <strong>de</strong> flamme et non <strong>de</strong> lumière. Au moment où je pensais cela, je vis près<br />

<strong>de</strong> toi une chèvre, une bête du sabbat, qui me regardait en riant. Le soleil <strong>de</strong> midi lui<br />

faisait <strong>de</strong>s cornes <strong>de</strong> feu. Alors j'entrevis le piège du démon, et je ne doutai plus que tu ne<br />

vinsses <strong>de</strong> l'enfer et que tu n'en vinsses pour ma perdition. Je le crus.»<br />

Ici le prêtre regarda en face la prisonnière et ajouta froi<strong>de</strong>ment:<br />

«Je le crois encore.- Cependant le charme opérait peu à peu, ta danse me tournoyait dans<br />

le cerveau, je sentais le mystérieux maléfice s'accomplir en moi, tout ce qui aurait dû<br />

veiller s'endormait dans mon âme, et comme ceux qui meurent dans la neige je trouvais<br />

du plaisir à laisser venir ce sommeil. Tout à coup, tu te mis à chanter. Que pouvais-je<br />

faire, misérable? Ton chant était plus charmant encore que ta danse. Je voulus fuir.<br />

Impossible. J'étais cloué, j'étais enraciné dans le sol. Il me semblait que le marbre <strong>de</strong> la<br />

dalle m'était monté jusqu'aux genoux. Il fallut rester jusqu'au bout. Mes pieds étaient <strong>de</strong><br />

glace, ma tête bouillonnait. Enfin, tu eus peut-être pitié <strong>de</strong> moi, tu cessas <strong>de</strong> chanter, tu<br />

disparus. Le reflet <strong>de</strong> l'éblouissante vision, le retentissement <strong>de</strong> la musique enchanteresse<br />

s'évanouirent par <strong>de</strong>grés dans mes yeux et dans mes oreilles. Alors je tombai dans<br />

227

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!