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Notre-Dame de Paris – Victor Hugo

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<strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong> <strong>de</strong> <strong>Paris</strong> - <strong>Victor</strong> <strong>Hugo</strong><br />

l'encoignure <strong>de</strong> la fenêtre, plus rai<strong>de</strong> et plus faible qu'une statue <strong>de</strong>scellée. La cloche <strong>de</strong><br />

vêpres me réveilla. Je me relevai, je m'enfuis, mais, hélas! il y avait en moi quelque chose<br />

<strong>de</strong> tombé qui ne pouvait se relever, quelque chose <strong>de</strong> survenu que je ne pouvais fuir.»<br />

Il fit encore une pause, et poursuivit:<br />

«Oui, à dater <strong>de</strong> ce jour, il y eut en moi un homme que je ne connaissais pas. Je voulus<br />

user <strong>de</strong> tous mes remè<strong>de</strong>s, le cloître, l'autel, le travail, les livres. Folie! Oh! que la science<br />

sonne creux quand on y vient heurter avec désespoir une tête pleine <strong>de</strong> passions! Sais-tu,<br />

jeune fille, ce que je voyais toujours désormais entre le livre et moi? Toi, ton ombre,<br />

l'image <strong>de</strong> l'apparition lumineuse qui avait un jour traversé l'espace <strong>de</strong>vant moi. Mais<br />

cette image n'avait plus la même couleur; elle était sombre, funèbre, ténébreuse comme<br />

le cercle noir qui poursuit longtemps la vue <strong>de</strong> l'impru<strong>de</strong>nt qui a regardé fixement le soleil.<br />

«Ne pouvant m'en débarrasser, entendant toujours ta chanson bourdonner dans ma tête,<br />

voyant toujours tes pieds danser sur mon bréviaire, sentant toujours la nuit en songe ta<br />

forme glisser sur ma chair, je voulus te revoir, te toucher, savoir qui tu étais, voir si je te<br />

retrouverais bien pareille à l'image idéale qui m'était restée <strong>de</strong> toi, briser peut-être mon<br />

rêve avec la réalité. En tout cas, j'espérais qu'une impression nouvelle effacerait la<br />

première, et la première m'était <strong>de</strong>venue insupportable. Je te cherchai. Je te revis.<br />

Malheur! Quand je t'eus vue <strong>de</strong>ux fois, je voulus te voir mille, je voulus te voir toujours.<br />

Alors,- comment enrayer sur cette pente <strong>de</strong> l'enfer?- alors je ne m'appartins plus. L'autre<br />

bout du fil que le démon m'avait attaché aux ailes, il l'avait noué à ton pied. Je <strong>de</strong>vins<br />

vague et errant comme toi. Je t'attendais sous les porches, je t'épiais au coin <strong>de</strong>s rues, je<br />

te guettais du haut <strong>de</strong> ma tour. Chaque soir, je rentrais en moi-même plus charmé, plus<br />

désespéré, plus ensorcelé, plus perdu!<br />

«J'avais su qui tu étais, égyptienne, bohémienne, gitane, zingara, comment douter <strong>de</strong> la<br />

magie? Écoute. J'espérai qu'un procès me débarrasserait du charme. Une sorcière avait<br />

enchanté Bruno d'Ast, il la fit brûler et fut guéri. Je le savais. Je voulus essayer du<br />

remè<strong>de</strong>. J'essayai d'abord <strong>de</strong> te faire interdire le parvis <strong>Notre</strong>-<strong>Dame</strong>, espérant t'oublier si<br />

tu ne revenais plus. Tu n'en tins compte. Tu revins. Puis il me vint l'idée <strong>de</strong> t'enlever. Une<br />

nuit je le tentai. Nous étions <strong>de</strong>ux. Nous te tenions déjà, quand ce misérable officier<br />

survint. Il te délivra. Il commençait ainsi ton malheur, le mien et le sien. Enfin, ne sachant<br />

plus que faire et que <strong>de</strong>venir, je te dénonçai à l'official. Je pensais que je serais guéri,<br />

comme Bruno d'Ast. Je pensais aussi confusément qu'un procès te livrerait à moi, que<br />

dans une prison je te tiendrais, je t'aurais, que là tu ne pourrais m'échapper, que tu me<br />

possédais <strong>de</strong>puis assez longtemps pour que je te possédasse aussi à mon tour. Quand on<br />

fait le mal, il faut faire tout le mal. Démence <strong>de</strong> s'arrêter à un milieu dans le monstrueux!<br />

L'extrémité du crime a <strong>de</strong>s délires <strong>de</strong> joie. Un prêtre et une sorcière peuvent s'y fondre en<br />

délices sur la botte <strong>de</strong> paille d'un cachot!<br />

«Je te dénonçai donc. C'est alors que je t'épouvantais dans mes rencontres. Le complot<br />

que je tramais contre toi, l'orage que j'amoncelais sur ta tête s'échappait <strong>de</strong> moi en<br />

menaces et en éclairs. Cependant j'hésitais encore. Mon projet avait <strong>de</strong>s côtés effroyables<br />

qui me faisaient reculer.<br />

«Peut-être y aurais-je renoncé, peut-être ma hi<strong>de</strong>use pensée se serait-elle <strong>de</strong>sséchée<br />

dans mon cerveau sans porter son fruit. Je croyais qu'il dépendrait toujours <strong>de</strong> moi <strong>de</strong><br />

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