II

LA RÉFORME DES COURS D'ASSISES EN ALGÉRIE 167
une de mes premières impressions d'Algérie ; elle esttou-
jours restée douloureuse. Débarqué depuis quelques
jours à peine, avide de toutes les nouveautés qui sédui
saient ma curiosité, j'assistais à une audience de la Cour
d'assises d'Alger. Je revois l'accusé,
au teint basané,
un grand gaillard
à l'œil fier et énergique. Dans le douar
qu'il habitait, on avait, un matin,
d'un garde forestier,
retrouvé le cadavre
assassiné pendant la nuit. La justice
lui imputait le crime. Mais, comme unique charge, l'ins
truction s'était contentée de relever un départ précipité
qui, lejour même du crime, avait éloigné l'accusé de son
douar. La charge semblait mince autant que discutable.
Quel ne fut pas mon étonnement d'entendre l'accu
sation s'en emparer comme d'une preuve capitale : ce
départ précipité, c'était la 'fuite d'un coupable, c'était
un véritable aveu. Aussi, pour le ministère public, le
jury devait-il se montrer impitoyable, et, sans hésitation,
vouer l'assassin à l'expiation suprême. La défense n'eut
pas de peine à montrer combien était fragile l'unique
preuve dont se contentait l'accusation. Elle donna du
brusque départ de l'accusé des raisons si plausibles qu'il
fallait bien renoncer à y voir un aveu du crime. Sentant
que tout le système de l'accusation chancelle et s'effon
dre,
l'organe du ministère public reprend alors laparole.
Je doute qu'il lui fût possible d'oublierplus complètement
son rôle. « Il s'agit moins ici, disait-il, de discuter des
preuves toujours plus ou moinsincertaines. Ce qu'il vous
faut envisager avant tout c'est le danger de l'acquittement
que vou spourriez prononcer. Le premier de vos devoirs est
le souci de la sécurité publique. D'impitoyables verdicts
peuvent seuls assurer cette sécurité indispensable. Il faut