II

30 LES ERREURS JUDICIAIRES EN ALGERIE
magistrat marque son incrédulité et presse les témoins'
de questions. C'est toujours la même réponse. Son insis
tance et les doutes qu'il témoigne ne font que rendre
les témoins plus affirmatifs et qu'augmenter la kyrielle
de leurs serments. Force est donc pour lui de renoncer
à découvrir, sur l'heure, une vérité que tous s'accordent
à lui cacher. Aussi se borne-t-il à procéder aux consta
tations d'usage, puis il se retire,
aprèsavoir prisles noms
des témoins qu'il a interrogés et les avoir conviés à se
rendre le lendemain à la Justice de paix.
Moins d'une heure après, il était rejoint par le fils
aîné de la victime, qui, disait-il,
venait lui faire con
naître toute la vérité. Comme tous les autres, il avait
menti tout à l'heure,
en parlant d'un suicide. La mort
de son père était, au contraire, le résultat d'un crime.
Pendant une fête que le vieux caïd offrait à ses amis,
étaient survenus à l'improviste quelques cavaliers d'un
douar voisin, depuis longtemps ses ennemis. Us avaient
à bout portant, déchargé leurs fusils sur le vieux chef.
Celui-ci était tombé mortellement frappé, et ses meurtriers,
avaient disparu, emportés par le galop
montures. « Depuis longtemps, ajoutait-il,
furieux de leurs
nous étions.
mon père et les miens, en but à l'inimitié de ceux que
je viens dénoncer. Maintenant que tu sais la vérité,
protège-nous et venge mon père. » Tout cela débité sur
un ton de sincérité parfaite et affirmé avec le même
accent de vérité que naguère le suicide.
Le Juge de paix regagne le douar qu'il venait de
quitter. Il interroge de nouveau les témoins du drame.
Cette fois encore, pas un n'hésite. Il ne s'agit plus d'un
suicide mais d'un crime. Tousont reconnu les meurtriers,