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Inégalités et discriminations - Le Monde

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C’est dans ce climat conflictuel <strong>et</strong> passionnel que la loi Hortefeux fut déférée au<br />

Conseil constitutionnel par l’opposition parlementaire. Moyennant des restrictions<br />

longuement motivées, le Conseil décida de valider l’amendement sur les tests<br />

ADN 78 . Il se contenta de quelques lignes, en revanche, pour censurer l’amendement<br />

sur les statistiques <strong>et</strong>hniques, au motif principal qu’il était dépourvu du moindre lien<br />

avec l’obj<strong>et</strong> de la loi, qui était l’entrée <strong>et</strong> le séjour des étrangers en France.<br />

Mais le juge constitutionnel prit la décision d’aller plus loin. Par un considérant<br />

que des spécialistes de droit constitutionnel qualifient techniquement de « surabondant<br />

» ou de « subsidiaire », il estima que « si les traitements nécessaires à la conduite<br />

d’études sur la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination <strong>et</strong> de<br />

l’intégration peuvent porter sur des données objectives, ils ne sauraient, sans méconnaître le<br />

principe énoncé par l’article 1 er de la Constitution, reposer sur l’origine <strong>et</strong>hnique ou la race ».<br />

L’article en question, rappelons-le, proclame que la France « assure l’égalité devant la<br />

loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ».<br />

Une décision « à la vérité surprenante » <strong>et</strong> qui a « j<strong>et</strong>é le trouble » dans les esprits,<br />

dira plus tard le Comité de réflexion sur le préambule de la Constitution présidé par<br />

M me Veil (2008 : 60). « Déconcertant », déclara sur le coup le président de la CNIL, qui se<br />

demandait comment concilier les termes de c<strong>et</strong>te décision avec la jurisprudence de la<br />

Haute autorité. Trouble aussi chez les chercheurs <strong>et</strong> statisticiens engagés dans les<br />

enquêtes sur les <strong>discriminations</strong> liées aux origines. Citoyens français, ils avaient lu<br />

l’article 1 er de la Constitution. Ils n’avaient pas imaginé qu’on pût assimiler l’étude<br />

scientifique des divisions du monde social à une inégalité de traitement des citoyens<br />

« devant la loi ». Une pyramide des âges qui divise la population par sexe <strong>et</strong> âge, deux<br />

critères figurant au Code pénal parmi les motifs de discrimination, divise-t-elle le<br />

corps social « devant la loi » ? Est-on déjà en train de légiférer quand on traite les<br />

réponses d’une enquête ? 79 Aucun commentaire de doctrine n’a fourni à ce jour<br />

d’explication rationnelle sur ce point.<br />

M me Gwénaëlle Calvès, professeure de droit public connue pour son opposition<br />

résolue aux statistiques <strong>et</strong>hniques, suggèrera plus tard que la décision du Conseil<br />

constitutionnel aurait gagné en clarté si l’on avait distingué les fichiers de gestion des<br />

traitements à visée scientifique 80 . De fait, la loi Informatique <strong>et</strong> libertés était structurée<br />

sur ce principe. Impossible de confondre des distinctions pratiquées à des fins<br />

78 <strong>Le</strong> 13 décembre 2009, constatant que le dispositif était inapplicable, le gouvernement a annoncé<br />

que les décr<strong>et</strong>s d’application correspondants ne seraient pas signés.<br />

79 Un membre du COMEDD s’est demandé si l’article 1 er , dans la vision du Conseil constitutionnel,<br />

ne visait pas tout simplement le fait d’être « traité de… » (noir, maghrébin, asiatique, <strong>et</strong>c.), indépendamment<br />

d’être traité comme tel par une législation. Mais on a peine à imaginer que le juge constitutionnel<br />

puisse se faire une image à ce point erronée de l’activité du statisticien. À ce compte, en eff<strong>et</strong>,<br />

le statisticien traite les gens d’hommes <strong>et</strong> de femmes, les traite de valides <strong>et</strong> de handicapés, les traite de<br />

Français de naissance, de Français par acquisition ou d’étrangers, les traite de riches <strong>et</strong> de pauvres, <strong>et</strong>c.<br />

Toute étude des inégalités illégitimes serait une différence de traitement illégitime. C’en serait fini de<br />

la statistique sociale. On verra plus loin que telle n’était pas l’intention du Conseil.<br />

80 « La portée exacte de c<strong>et</strong>te décision demeure hélas confuse, en raison comme toujours du caractère<br />

lapidaire de sa motivation, mais aussi des conditions dans lesquelles la loi lui a été déférée (où se mêlaient la<br />

question des études scientifiques <strong>et</strong> le problème des fichiers de gestion) » (Calvès [2004] 2008 : 79).<br />

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