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Inégalités et discriminations - Le Monde

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cher à mesurer la diversité ou à mesurer les <strong>discriminations</strong>. De telles opérations ne<br />

violent pas la norme constitutionnelle de l’égalité de traitement. En validant MAFÉ ou<br />

EXH, les instances de contrôle adm<strong>et</strong>tent qu’il n’existe pas en France d’interdiction<br />

absolue des données <strong>et</strong>hniques dans les traitements statistiques mais une interdiction<br />

de principe assortie d’exceptions dont les statisticiens peuvent largement bénéficier.<br />

Rien de surprenant, à vrai dire. <strong>Le</strong> juge constitutionnel ayant censuré l’amendement<br />

qui devait modifier la loi Informatique <strong>et</strong> libertés, nous sommes revenus au point de<br />

départ : la loi est inchangée <strong>et</strong> il revient toujours à la CNIL de l’interpréter.<br />

Il y a toutefois un singulier paradoxe dans le message ainsi adressé aux chercheurs.<br />

Il eût été logique de pouvoir recueillir des données sur l’origine <strong>et</strong>hnique<br />

dans les enquêtes portant sur les <strong>discriminations</strong> <strong>et</strong>hniques. Or, du fait de la décision<br />

du Conseil constitutionnel telle qu’elle semble interprétée par la Cnil, c’est l’inverse<br />

qui prévaudrait : les données <strong>et</strong>hniques seraient illicites dans les enquêtes qui étudient les<br />

<strong>discriminations</strong> <strong>et</strong>hniques mais licites dans celles qui ne les étudient pas. Difficile d’imaginer<br />

qu’un pareil chassé-croisé entre les moyens <strong>et</strong> les finalités puisse durablement<br />

persister.<br />

De quelle <strong>et</strong>hnicité est-il question en l’occurrence ? D’une <strong>et</strong>hnicité moyennement<br />

« épaisse », tant dans l’enquête sur les migrations africaines que dans l’enquête sur les<br />

séquelles de l’excision. Ce n’est ni une <strong>et</strong>hnicité raciale <strong>et</strong> biologisante ni, à l’opposé,<br />

une simple origine nationale des migrants installés en France (malienne, sénégalaise,<br />

<strong>et</strong>c.), mais une <strong>et</strong>hnicité de niveau intermédiaire, désignant de vastes groupes<br />

humains infranationaux ou transnationaux officialisés par la statistique du pays<br />

d’origine. On sait depuis Fredrik Barth (qui recoupe largement les pénétrantes<br />

analyses de Max Weber élaborées vers 1910) que ces groupements humains ont des<br />

frontières poreuses <strong>et</strong> ne cessent de se reconstruire à coups d’alliance, de filiation <strong>et</strong><br />

de réaffiliation. Pour autant, <strong>et</strong> contrairement à une idée reçue, les anthropologues<br />

n’ont pas abandonné le concept d’<strong>et</strong>hnie. <strong>Le</strong>urs ouvrages sont encore assortis d’un<br />

copieux index des <strong>et</strong>hnies. Ils reconnaissent que si les <strong>et</strong>hnies ont été manipulées par<br />

le pouvoir colonial, il a bien fallu qu’elles existent pour être manipulées (Godelier).<br />

« <strong>Le</strong>s <strong>et</strong>hnies ont une histoire », pour reprendre la formule de J.-P. Chrétien <strong>et</strong><br />

G. Prunier, <strong>et</strong> beaucoup d’entre elles « viennent de loin ». Prétendre qu’elles sont purs<br />

phantasmes dans les pays du Sud serait confondre construction sociale <strong>et</strong> fiction.<br />

<strong>Le</strong>s controverses sur l’historicité <strong>et</strong> la plasticité des <strong>et</strong>hnies sont passionnantes,<br />

mais il n’est pas nécessaire d’attendre que les anthropologues les aient tranchées<br />

pour autoriser les géographes, les économistes ou les démographes à vérifier dans<br />

quelle mesure les solidarités migratoires sont liées aux affiliations <strong>et</strong>hniques les plus<br />

répandues, fussent-elles déclarées de façon approximative. S’il s’avère que la décision<br />

de migrer est fortement liée au facteur <strong>et</strong>hnique toutes choses égales par ailleurs,<br />

on ne récusera pas c<strong>et</strong>te corrélation sur le mode idéologique en décrétant qu’une telle<br />

variable n’a pas le droit d’exister : il faut démontrer qu’une autre variable, mieux<br />

construite, pourra se substituer à ce facteur <strong>et</strong> augmenter ainsi la puissance<br />

statistique du modèle explicatif.<br />

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