Inégalités et discriminations - Le Monde
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dit parfois outre-Atlantique), elle reste « aveugle à la couleur » (color-blind ou raceneutral).<br />
Ce sens de la variable « <strong>et</strong>hnique » appelle plusieurs remarques.<br />
1. D’abord, la charge <strong>et</strong>hnique d’une nomenclature des origines dépend moins de<br />
la variable-source (en l’occurrence le pays ou la nationalité d’origine) que du type de<br />
regroupement effectué. Si les données sont détaillées par pays, la dimension nationale<br />
l’emportera. Si les nations d’origine sont agrégées par grandes aires culturelles ou par<br />
sous-continents (Europe, Maghreb, Afrique subsaharienne, Proche <strong>et</strong> Moyen Orient,<br />
reste de l’Asie, Amérique latine…), elles cèdent la place à des regroupements « pan<strong>et</strong>hniques<br />
» qui, sous des dehors géographiques, se rapprochent fortement d’une<br />
nomenclature <strong>et</strong>hno-raciale, ainsi que l’a judicieusement observé le comité Veil.<br />
2. Ensuite, le fait de partager une même origine nationale ou « géographique »sur<br />
plusieurs générations ne fournit en soi aucune indication sur le degré de conscience<br />
collective du groupement ainsi constitué : simple collection d’individus ou groupe<br />
agissant ? L’appartenance <strong>et</strong>hnique peut prendre corps à des degrés très variables :<br />
lieu de solidarité active, mémoire entr<strong>et</strong>enue, souvenir recréé, référence surannée.<br />
3. Enfin, l’<strong>et</strong>hnicité au sens faible du terme implique c<strong>et</strong>te conséquence capitale<br />
que le système statistique public français, même s’il s’abstient d’utiliser le terme,<br />
produit bel <strong>et</strong> bien une statistique <strong>et</strong>hnique dès lors qu’il repère les nationalités d’origine<br />
ou les pays de naissance. Il ne le fait pas seulement dans des enquêtes ponctuelles mais<br />
aussi dans de vastes opérations comme l’Échantillon démographique permanent, qui<br />
compile depuis 1968 les bull<strong>et</strong>ins de recensements <strong>et</strong> d’état civil successifs des<br />
mêmes personnes pour un échantillon au 1/100 de la population française. Un<br />
chercheur qui utilise c<strong>et</strong>te source pour repérer en 1975 ou en 1982 les jeunes vivant<br />
chez un parent immigré <strong>et</strong> qui les suit ensuite à l’âge adulte jusqu’au seuil des années<br />
2000 pour étudier leur destinée sociale, produit sans l’ombre d’un doute des<br />
statistiques <strong>et</strong>hniques.<br />
À l’autre pôle de c<strong>et</strong>te version « faible » ou « mince » de l’<strong>et</strong>hnique se manifeste<br />
l’<strong>et</strong>hnique comme expression identitaire. Dans c<strong>et</strong>te acception forte, l’appartenance<br />
<strong>et</strong>hnique s’apparente à une revendication d’appartenance à une communauté historique,<br />
réelle ou imaginaire, éventuellement incarnée par le partage d’une langue,<br />
d’un territoire, d’une religion <strong>et</strong> de traits culturels. Elle peut renvoyer aussi bien aux<br />
« groupes <strong>et</strong>hniques » formés à la suite de migrations dans des pays où ils sont<br />
minoritaires qu’aux « minorités nationales » des états multi<strong>et</strong>hniques ou encore à<br />
l’<strong>et</strong>hnie proprement dite, qui reste infranationale ou transnationale faute de posséder<br />
le statut privilégié d’un État séparé : ainsi les Kabyles, les Kurdes, les Hmong, les<br />
Soninké, les Basques, <strong>et</strong>c. Ce sens anthropologique traditionnel, fortement teinté de<br />
colonialisme, est critiqué des anthropologues eux-mêmes. « Ethnie » reste néanmoins<br />
très utilisé en anthropologie : les derniers ouvrages de Maurice Godelier sur la<br />
parenté <strong>et</strong> les sociétés traditionnelles comportent un copieux index des <strong>et</strong>hnies<br />
(Godelier 2004, Godelier 2007). La théorie constructiviste actuellement dominante<br />
dans les travaux anthropologiques <strong>et</strong> sociologiques sur les sociétés du Sud comme<br />
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