Inégalités et discriminations - Le Monde
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faire : « ces données d’observation n’ont, de fait, aucune valeur statistique <strong>et</strong> le type de récit<br />
que je viens de faire ne passe pas la rampe sur le plan scientifique, dans le champ académique,<br />
quand on aborde la question des <strong>discriminations</strong> » (ibid., p. 125). <strong>Le</strong> sociologue estime<br />
ainsi que la méthode <strong>et</strong>hnographique ne perm<strong>et</strong> pas de généraliser l’observation<br />
ponctuelle des <strong>discriminations</strong> directes.<br />
Si Stéphane Beaud reconnaît que la réalité des <strong>discriminations</strong> selon l’origine a<br />
été longtemps « occultée » <strong>et</strong> « tabou » en France, y compris dans ses propres relevés, il<br />
note que les premiers à avoir prononcé le mot de « discrimination » en sa présence<br />
sont les jeunes d’origine maghrébine rencontrés sur place, qui tendaient à imputer<br />
leur échec scolaire à la volonté délibérée des enseignants <strong>et</strong> leurs difficultés<br />
d’insertion à celle des employeurs. <strong>Le</strong> sociologue n’accorde guère de crédit à ces<br />
récits : pour bien connaître le dossier des jeunes en question, il voit là une<br />
« croyance » dont il faut étudier « les conditions sociales de production ». C<strong>et</strong>te croyance<br />
pousse les jeunes à s’enfermer dans un discours d’échec, qui les décourage même de<br />
passer leurs examens. Convaincus que le jeu est faussé, les enfants d’immigrés<br />
renoncent à jouer, <strong>et</strong> leur frustration n’en est que plus intense.<br />
On pourrait en conclure qu’il est urgent d’étudier la discrimination perçue, ne<br />
serait-ce que pour mesurer l’eff<strong>et</strong> de « spirale négative » qu’elle produit sur les<br />
décisions individuelles <strong>et</strong> sur le mécanisme général de la discrimination (Silbermann<br />
2008 : 115-116). On pourrait faire aussi l’hypothèse que les discours accusatoires des<br />
enfants d’immigrés tendent à interpréter en discrimination intentionnelle des <strong>discriminations</strong><br />
qui sont parfois indirectes ou systémiques (encore que les deux exemples<br />
concr<strong>et</strong>s cités relèvent clairement de la discrimination directe). Plus épineuse encore<br />
est la question de savoir si la critique d’un système scolaire qui continue de<br />
privilégier la naissance sous couleur de rétribuer le mérite n’est pas indûment<br />
transférée sur le terrain des <strong>discriminations</strong>.<br />
Mais Stéphane Beaud ne s’engage pas sur c<strong>et</strong>te voie. <strong>Le</strong> sociologue, explique-t-il,<br />
doit avoir « mauvais esprit », ce qui veut dire dénoncer le « marché juteux » des appels<br />
d’offre anti-discrimination alimenté par les collectivités locales <strong>et</strong> m<strong>et</strong>tre en doute la<br />
priorité politique affichée, au niveau local ou national, en faveur de la lutte contre les<br />
<strong>discriminations</strong> (Beaud 2008 : 128-129). Après de longues années de silence, c<strong>et</strong>te<br />
politique vient « trop tard », assure-t-il ; elle risque de « se substituer à une politique de<br />
lutte contre les inégalités structurelles ». Loin de renforcer l’analyse critique des<br />
inégalités, l’analyse critique des <strong>discriminations</strong> viendrait la supplanter.<br />
C’est dans c<strong>et</strong> esprit qu’il se tourne vers l’approche statistique, en rendant<br />
hommage aux remarquables enquêtes longitudinales du CEREQ sur l’insertion de<br />
générations de jeunes dont on connaît les origines sociales <strong>et</strong> les origines migratoires.<br />
Ces « enquêtes Génération » font la part des facteurs structurels de l’échec scolaire chez<br />
les enfants de l’immigration maghrébine, à savoir le fort taux d’inactivité des parents<br />
(mère inactive, père en r<strong>et</strong>raite anticipée ou en invalidité) <strong>et</strong> la faiblesse du capital de<br />
relations mobilisable pour trouver un emploi, deux facteurs purement sociaux que<br />
Stéphane Beaud juge décisifs <strong>et</strong> qu’une politique sociale digne de ce nom devrait<br />
attaquer en priorité.<br />
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