04.10.2014 Views

Inégalités et discriminations - Le Monde

Inégalités et discriminations - Le Monde

Inégalités et discriminations - Le Monde

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

eligieuse (religion des personnes interrogées <strong>et</strong> religion des parents) dans l’idée<br />

qu’elle pouvait avoir des liens avec les trajectoires d’insertion — une hypothèse<br />

développée dans plusieurs études étrangères. Comme pour toutes les enquêtes à<br />

contenu sensible, le questionnaire était entouré des précautions fixées par la loi <strong>et</strong> par<br />

la jurisprudence : il était anonyme <strong>et</strong> facultatif (ce caractère facultatif étant expressément<br />

rappelé à chacune des questions sensibles) <strong>et</strong> les personnes interrogées<br />

devaient donner leur consentement écrit. En aval, les procédures d’anonymisation<br />

excluaient tout fichage des répondants.<br />

On était alors en octobre 2007. <strong>Le</strong> hasard du calendrier voulut que le questionnaire<br />

de l’enquête TEO fût soumis au CNIS la semaine même du débat parlementaire<br />

sur la « loi Hortefeux » relative au contrôle de l’immigration, débat vite polarisé par<br />

le dépôt d’un amendement sur la mesure statistique de la « diversité », dit amendement<br />

des « statistiques <strong>et</strong>hniques ». Convaincue que les deux suj<strong>et</strong>s n’en faisaient<br />

qu’un, l’association SOS-Racisme prit la tête d’une campagne de protestation dont le<br />

fer de lance était une pétition en ligne intitulée « Fiche pas mon pote », visant à la fois<br />

l’enquête TEO <strong>et</strong> l’amendement de la loi Hortefeux. La pétition rencontra rapidement<br />

un vif succès auprès des internautes. Qui pouvait tolérer la mise en place d’un fichier<br />

nominatif des origines raciales en France ? À terme, expliquait une vidéo consultable<br />

sur le site de la pétition, l’État se préparait à enfermer chaque habitant de la France<br />

dans une identité religieuse <strong>et</strong> une catégorie raciale. <strong>Le</strong>s valeurs de la République<br />

étaient en péril, son unité même était en cause. La pétition s’achevait sur une<br />

interpellation du Conseil constitutionnel, invité à censurer la loi Hortefeux <strong>et</strong>, du<br />

même coup, à barrer la voie à l’essor des statistiques <strong>et</strong>hniques <strong>et</strong> religieuses 88 .<br />

Tout au long de c<strong>et</strong>te campagne, en eff<strong>et</strong>, les critiques les plus mordantes de<br />

l’enquête TEO s’en étaient prises avec la même vigueur aux questions sur la religion<br />

<strong>et</strong> aux questions sur l’apparence physique. C<strong>et</strong>te symétrie semblait se justifier par le<br />

fait que le critère religieux <strong>et</strong> le critère <strong>et</strong>hno-racial étaient mis sur le même plan dans<br />

l’article 1 er de la Constitution <strong>et</strong> dans les autres déclarations intégrées au « bloc de<br />

constitutionnalité ».<br />

88 L’association SOS-Racisme demanda audience au secrétariat général du Conseil constitutionnel<br />

<strong>et</strong> l’obtint. En revanche, à aucun moment du processus, les dirigeants des organismes d’étude <strong>et</strong> de<br />

statistiques ne cherchèrent à contacter le Conseil constitutionnel, pas plus que le Conseil national de<br />

l’information statistique. Ils n’ont jamais fait partie non plus des experts consultés.<br />

Pour des raisons liées à la différence profonde des systèmes juridiques, la pratique du juge<br />

constitutionnel français est à l’opposé de celle de la Cour suprême américaine. C<strong>et</strong>te dernière précise<br />

ou r<strong>et</strong>ravaille les principes constitutionnels à l’occasion d’affaires qu’elle juge en dernière instance,<br />

dans un calendrier dont elle reste maître. Elle peut prendre le temps d’organiser des auditions <strong>et</strong> de<br />

solliciter de la part des parties un grand nombre de mémoires argumentés (les amicus briefs). Elle<br />

assortit ses jugements d’explications prolixes <strong>et</strong> contradictoires, souvent nourris de données statistiques<br />

<strong>et</strong> de publications scientifiques, <strong>et</strong> ses jugements alimentent à leurs tour d’innombrables commentaires<br />

qui débordent la sphère des Facultés de droit.<br />

Plus pertinente est la comparaison avec la Cour constitutionnelle allemande, qui s’inscrit dans la<br />

tradition continentale du droit civil. Comparé au juge constitutionnel français, le juge allemand tend à<br />

consulter davantage en amont <strong>et</strong> à s’expliquer davantage en aval ; il ne limite pas la consultation des<br />

experts aux seuls professeurs de droit constitutionnel.<br />

119

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!