Inégalités et discriminations - Le Monde
Inégalités et discriminations - Le Monde
Inégalités et discriminations - Le Monde
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
2. Ethnique serait une variante euphémisée de racial, une sorte de halo perm<strong>et</strong>tant<br />
de capter plus sûrement un noyau de sens indéfinissable ou innommable.<br />
C’est l’acception qui semble prévaloir dans la législation <strong>et</strong> la jurisprudence<br />
françaises.<br />
3. Ethnique renverrait à l’<strong>et</strong>hnie au sens anthropologique traditionnel d’un<br />
groupe humain infranational ou transnational n’ayant pas accédé au statut<br />
d’État mais doté d’attributs relativement stables (nom collectif, territoire,<br />
langue, histoire commune, mythologie, coutumes, origine commune complétée<br />
par quelques affiliations, <strong>et</strong>c.) perm<strong>et</strong>tant d’affirmer une identité propre <strong>et</strong>,<br />
le cas échéant, de revendiquer un traitement particulier au sein de la<br />
communauté nationale. Il n’est plus question de race mais l’emploi du terme<br />
peut être extrêmement péjoratif (« guerres <strong>et</strong>hniques », « n<strong>et</strong>toyage <strong>et</strong>hnique »,<br />
<strong>et</strong>c.). À noter que ce genre de critères pourrait s’étendre à des provinces<br />
françaises mais valoir aussi pour la genèse laborieuse des États-nations.<br />
4. En réaction au fixisme de l’acception précédente <strong>et</strong> aux manipulations qu’en<br />
ont faites les pouvoirs étatiques ou coloniaux, nombre de sociologues <strong>et</strong><br />
d’anthropologues ne parlent pas d’<strong>et</strong>hnie mais de groupe <strong>et</strong>hnique ou<br />
d’<strong>et</strong>hnicité. L’<strong>et</strong>hnicité est un comportement ou une réalité perçue. <strong>Le</strong> groupe<br />
<strong>et</strong>hnique est une « communauté imaginaire » aux frontières mouvantes,<br />
renégociées dans les interactions avec d’autres groupes concurrents ou<br />
englobants. C<strong>et</strong>te approche constructiviste se réfère aux écrits de Max Weber<br />
<strong>et</strong> de Fredrik Barth, tenus aujourd’hui pour des références majeures dans les<br />
sciences sociales. On est là aux antipodes d’une vision biologique ou fixiste de<br />
type racial.<br />
5. Dernier sens, devenu courant en Europe <strong>et</strong> qui se répand chez les chercheurs<br />
français, particulièrement dans le domaine des statistiques sociales, l’origine<br />
<strong>et</strong>hnique se réfère simplement à l’origine nationale des immigrants <strong>et</strong> de leurs<br />
descendants. <strong>Le</strong> terme ne postule ni assignation raciale ni revendication<br />
identitaire. On parlera par exemple de « ségrégation <strong>et</strong>hnique » par opposition à<br />
« ségrégation sociale » pour analyser les données du recensement sur l’habitat<br />
en fonction des pays de naissance ou des anciennes nationalités (le cas<br />
échéant en incluant la seconde génération qui vit encore chez ses parents mais<br />
qui est — ou sera — de nationalité française). En ce sens, de telles statistiques<br />
sont d’ores <strong>et</strong> déjà « <strong>et</strong>hniques » tout en étant parfaitement « républicaines ».<br />
<strong>Le</strong>s acceptions du mot <strong>et</strong>hnique composent donc un graduum allant du sens le plus<br />
fort (ou le plus « épais », comme disent les anthropologues) au sens le plus faible.<br />
Dans le feu de la polémique, un procédé courant consiste à vouloir disqualifier toute<br />
statistique des origines en la rabattant sur la variante la plus forte, qualifiée de<br />
raciale, de raciste ou de communautariste, ce qui écrase le spectre des significations<br />
<strong>et</strong> engendre la confusion. Selon la définition r<strong>et</strong>enue de l’<strong>et</strong>hnicité, les dérogations<br />
légales accordées aux statisticiens qui ont besoin d’indicateurs sur la diversité des<br />
origines pour décrire les <strong>discriminations</strong> correspondantes n’auront ni la même<br />
78