04.10.2014 Views

Inégalités et discriminations - Le Monde

Inégalités et discriminations - Le Monde

Inégalités et discriminations - Le Monde

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

De la même façon, le phénotype ou la « race » ne sont jamais des réalités brutes mais<br />

des jugements sociaux. À supposer même que le racisme prenne la forme d’une<br />

répulsion vis-à-vis de traits physiques jugés trop différents, comme les couleurs de<br />

peau les plus foncées, il ne traduirait toujours pas un schéma stimulus-réponse. Il<br />

s’ensuit que le phénotype ne saurait être une cause ou un facteur de discrimination<br />

dont il faudrait étudier les eff<strong>et</strong>s. <strong>Le</strong> motif de discrimination ne préexiste pas à la relation<br />

sociale. C’est vrai déjà des cibles les plus objectives en apparence : ce n’est pas le<br />

sexe féminin, la grossesse, le handicap, le patronyme, <strong>et</strong>c. qui causent la discrimination<br />

mais bien l’image que s’en fait le discriminateur <strong>et</strong> les conséquences qu’il en<br />

tire pour traiter les personnes visées.<br />

Sur la question raciale comme sur la question <strong>et</strong>hnique, Max Weber est une<br />

référence classique. Peu après son voyage de plusieurs mois aux États-Unis, en 1904,<br />

le sociologue de Heidelberg rédige un texte sur l’« appartenance "raciale" » (en y<br />

m<strong>et</strong>tant des guillem<strong>et</strong>s qui seront omis de la traduction française). Ce texte sera<br />

publié après sa mort dans Économie <strong>et</strong> société. La ségrégation raciale, explique Weber,<br />

ne reflète pas une différence anthropologique proportionnée à la pigmentation de la<br />

peau ; elle traduit « une différence sociale, donc inculquée par l’éducation <strong>et</strong> par toute une<br />

formation au sens large du terme ». Weber en veut pour preuve la one-drop rule qui régit<br />

la stratification raciale aux États-Unis : si une seule goutte de « sang noir » suffit à<br />

faire de vous un Noir, en dépit de l’évidente gradation de couleurs créée par un<br />

métissage déjà avancé, c’est bien que les Blancs opposent aux descendants d’esclaves<br />

« un mépris absolu ». La barrière raciale est d’abord une construction sociale arbitraire<br />

mais élevée dans un but précis : perpétuer les privilèges des « p<strong>et</strong>its blancs ».<br />

On rejoint ici un débat plus profond. Nous sommes habitués à sérier les<br />

dimensions de l’existence sur des plans séparés : le social, l’économique, l’éducatif, le<br />

culturel, le religieux, le territorial, le démographique <strong>et</strong>, finalement, l’<strong>et</strong>hno-racial.<br />

Mais ce cloisonnement est trompeur. Confrontés aux réalités physiques ou biologiques,<br />

ces dimensions sont toutes des constructions sociales, le produit d’interactions<br />

humaines <strong>et</strong> de luttes d’intérêts. Ce qu’on qualifie de « social » par routine,<br />

comme s’il s’agissait d’un domaine séparé, englobe en réalité les autres dimensions.<br />

<strong>Le</strong> sociologue doit donc effectuer une lecture sociale des relations raciales là où le discriminateur<br />

fait une lecture raciale des rapports sociaux. C’est pourquoi la position<br />

consistant à proclamer que « la race n’existe pas » a beau être foncièrement juste,<br />

scientifiquement fondée <strong>et</strong> politiquement nécessaire, elle ne dispense pas d’étudier<br />

c<strong>et</strong>te relation sociale particulière qu’est le racisme <strong>et</strong> de voir dans quelle mesure le<br />

destin des personnes-cibles en est affecté. S’il est vrai que la race n’existe pas, le racisme<br />

existe.<br />

<strong>Le</strong>s frontières floues de la « race » <strong>et</strong> de « l<strong>et</strong>hnique »<br />

Entre les classifications <strong>et</strong>hniques <strong>et</strong> les classifications raciales s’instaure un jeu<br />

complexe difficile à débrouiller. Paradoxalement, en eff<strong>et</strong>, l’<strong>et</strong>hnicité au sens faible<br />

peut se rapprocher davantage des nomenclatures raciales que l’<strong>et</strong>hnicité au sens fort,<br />

selon la façon d’agréger les données lors des publications. Une façon courante de<br />

17

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!