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Inégalités et discriminations - Le Monde

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La seconde finalité, qui l’emporte chez les chercheurs, est de comparer les parcours<br />

des personnes (scolaires, professionnels, résidentiels…) selon que leurs noms<br />

ou prénoms sont d’apparence française ou étrangère. Appliquée aux fichiers de<br />

l’Éducation nationale (Felouzis 2003, ORES 2007), à des fichiers d’entreprise (Cédiey<br />

<strong>et</strong> Foroni 2005) ou à des données judiciaires (Jobard <strong>et</strong> Névanen 2007), la méthode<br />

patronymique apporte d’indéniables résultats mais soulève la question de l’information<br />

apportée aux personnes concernées <strong>et</strong> celle du recueil de leur<br />

consentement, ainsi qu’on le verra au chapitre juridique. Autre lacune, on ne<br />

dispose pas d’une évaluation précise des biais d’observation dus à la variabilité du<br />

choix des prénoms par les parents. Si l’on fait l’hypothèse que les prénoms sont<br />

attribués dans le cadre d’un univers culturel restreint, on peut effectivement les<br />

considérer comme des marqueurs d’« origine culturelle » (Felouzis 2003 : 420) qui<br />

offrent le moyen de m<strong>et</strong>tre en évidence les phénomènes de ségrégation ou de<br />

discrimination frappant ceux qui les portent.<br />

<strong>Le</strong> statut du nom <strong>et</strong> du prénom<br />

En mentionnant le patronyme parmi la liste des motifs discriminatoires, la loi<br />

française a complété la liste énoncée par la directive européenne, qui, elle-même,<br />

faisait fond sur l’article 13 du traité d’Amsterdam. C<strong>et</strong> ajout ne se limite pas à évoquer<br />

le patronyme comme un signe de l’origine ; il le considère en tant que tel<br />

comme un support de discrimination. Il est vrai que de nombreux témoignages<br />

signalent l’eff<strong>et</strong> propre du prénom (c’est-à-dire de sa perception négative par<br />

autrui), à telle enseigne qu’il est parfois dissimulé par un pseudonyme dans le<br />

cadre professionnel, soit par volonté d’éviter le marquage de l’origine, soit sous la<br />

pression du milieu professionnel qui entend rendre « invisibles » les origines de<br />

l’employé. C’est là une pratique courante dans les sociétés de télémark<strong>et</strong>ing ainsi<br />

que dans de nombreuses sociétés en relation avec des clients 26 . Outre qu’elle fait<br />

violence aux employés en les sommant de masquer leur identité, une telle pratique<br />

prolonge la stigmatisation rampante qui frappe certaines références culturelles. Car<br />

il ne faut pas s’y tromper, ce qui stigmatise un prénom ou un nom n’est pas sa<br />

sonorité en soi mais sa relation étroite avec un univers culturel, lui-même associé à<br />

une série de stéréotypes <strong>et</strong> de préjugés. Derrière le nom <strong>et</strong> le prénom se profile<br />

nécessairement une imputation <strong>et</strong>hnique ou raciale.<br />

Cependant, l’onomastique n’est pas un support de catégorisation isolé.<br />

L’exemple des Français d’Outre-mer, généralement porteurs de noms <strong>et</strong> prénoms<br />

répandus dans toute la France mais stigmatisés en raison de leur couleur de peau,<br />

nous rappelle la multiplicité des sources d’identification. On peut en dire autant<br />

des personnes qui ont francisé leurs noms ou prénoms, pris le nom d’un conjoint<br />

26 Pour un exemple parmi bien d’autres, voir « Quand Rachida devient Brigitte », <strong>Le</strong> Courrier de<br />

l’Atlas, avril 2008. Un journaliste du <strong>Monde</strong>, Mustapha Kessous, a livré un témoignage saisissant sur<br />

les suspicions <strong>et</strong> humiliations racistes que peut subir quotidiennement un Français porteur d’un<br />

prénom arabe, particulièrement dans les situations où c’est le premier signe d’identité repérable (<strong>Le</strong><br />

<strong>Monde</strong> du 24 septembre 2009). Son récit débute ainsi : « ça fait bien longtemps que je ne prononce plus<br />

mon prénom quand je me présente au téléphone ».<br />

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