Inégalités et discriminations - Le Monde
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texte de loi qui accorde ou refuse un droit individuel à qui que ce soit en fonction de<br />
son appartenance à une catégorie socioprofessionnelle. Et qui peut soutenir que la<br />
mise en évidence des inégalités sociales sur la base de c<strong>et</strong>te nomenclature (que ce soit<br />
dans le domaine de la santé, de l’éducation, de la consommation) ait alimenté en quoi<br />
que ce soit des revendications qui auraient déchiré le corps social <strong>et</strong> dissocié la<br />
République ? Si la catégorisation statistique était performative en soi, le simple fait<br />
d’étudier la société à l’aide de catégories d’analyse équivaudrait à diviser la société.<br />
Il n’en est rien. Pas plus que le discours républicain sur le principe d’égalité ne suffit à faire<br />
l’égalité, le discours sociologique sur les divisions de la société ne suffit à diviser la société.<br />
Pourquoi cela ? C’est que la reconnaissance juridique n’a rien de mécanique dans<br />
un État de droit. <strong>Le</strong> droit ne reflète pas mécaniquement le fait. L’autonomie relative<br />
de la sphère juridique n’est pas un vain mot. L’idée que des revendications<br />
juridiques majeures appuyées sur des données statistiques pourraient spontanément<br />
acquérir force de droit au fil de temps ne correspond pas à la réalité.<br />
On objectera qu’il existe bien des catégorisations utilisées par les statisticiens qui<br />
correspondent à des vérités de droit. C’est une évidence, mais il suffit de les<br />
mentionner pour comprendre que leur statut juridique n’est pas la résultante d’un<br />
travail statistique ; il lui préexistait. La hiérarchie officielle des diplômes par niveaux<br />
(I à VI) émane de l’Éducation nationale <strong>et</strong> figure dans les référentiels des concours de<br />
recrutement : ce n’est aucunement une création autonome des statisticiens. L’âge en<br />
années révolues (<strong>et</strong> pas simplement en différence de millésimes arrondie vers le bas,<br />
comme dans la vie courante) n’est pas une invention de démographe mais une<br />
production administrative ayant force de loi <strong>et</strong> exploitée par les démographes. Il en<br />
est de même de l’état matrimonial.<br />
La situation est donc complexe <strong>et</strong> mériterait assurément une étude comparative<br />
systématique.<br />
Éloge du tiraillement<br />
<strong>Le</strong> professeur Guy Carcassonne le confiait aux membres du COMEDD venus<br />
l’auditionner : il n’est jamais simple de commenter les normes constitutionnelles, tant<br />
elles sont multiples, contradictoires, difficilement hiérarchisables. Si le COMEDD se sent<br />
tiraillé entre plusieurs principes face à la question des statistiques de la diversité,<br />
poursuivait-il, c’est une bonne chose. Rien n’est pire en la matière qu’une pensée<br />
carrée, monolithique. La contradiction est salubre.<br />
C<strong>et</strong> éloge du tiraillement n’est pas pour déplaire au comité, qui s’en est fait un<br />
principe. Nul ne peut trancher d’autorité, sur un mode unilatéral, une question aussi<br />
sensible que celle des statistiques sur les <strong>discriminations</strong> liées à l’origine. Il faut<br />
renvoyer dos à dos les deux positions antagoniques qui accaparent volontiers le<br />
devant de la scène. L’une préconise le tout <strong>et</strong>hnique, l’autre l’<strong>et</strong>hnicité zéro. La première<br />
veut importer en France des statistiques <strong>et</strong>hno-raciales à la britannique ou à<br />
l’américaine, exhaustives <strong>et</strong> obligatoires. La seconde ne tolère pas la moindre<br />
référence aux supports physiques de la discrimination, y compris dans les enquêtes<br />
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