Inégalités et discriminations - Le Monde
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tête sans le dire : « enfants de l’immigration maghrébine <strong>et</strong> subsaharienne en échec<br />
scolaire <strong>et</strong> inemployables ». Mais feindre de parler d’autre chose, utiliser un langage<br />
codé, parler à mots couverts, c’est user de subterfuges qui font écho aux procédés<br />
indirects des politiques antidiscriminatoires (comme le traitement démographique<br />
<strong>et</strong> territorial des problèmes <strong>et</strong>hniques). Ici, le paysage s’embrouille. On nous<br />
explique que, partout dans le monde, les politiques de « discrimination positive »<br />
avancent masquées ou instituent l’hypocrisie (Calvès, 2008 ) ; on nous explique que<br />
la Cour suprême américaine, en interdisant aux universités de recruter directement<br />
les membres des minorités sur quotas, sur bonus automatiques ou dans des filières<br />
séparées, encourage sciemment l’opacité : elle ferme les yeux sur les institutions<br />
qui pratiquent du recrutement <strong>et</strong>hno-racial en douce <strong>et</strong> condamne celles qui ont la<br />
naïv<strong>et</strong>é de le faire au grand jour (Sabbagh 2004a, Ayres <strong>et</strong> Foster 2005). Mais si l’on<br />
adhère à ces analyses sans complaisance, il faudrait logiquement recommander<br />
que la France renonce à l’hypocrisie des méthodes indirectes pour objectiver les<br />
<strong>discriminations</strong> <strong>et</strong>hno-raciales <strong>et</strong> les combattre.<br />
<strong>Le</strong>s mérites respectifs de l’approche directe <strong>et</strong> de l’approche indirecte<br />
constituent une source de tension permanente, qui r<strong>et</strong>entit directement sur le choix<br />
des outils statistiques. Hypocrisie ou tact ? Dissimulation de la réalité ou refus de<br />
banaliser des catégories inacceptables ?<br />
3. Des méthodes fines pour étudier des constructions sociales ni figées ni fictives<br />
Sur un autre registre, également générateur de tensions, la mesure statistique<br />
des <strong>discriminations</strong> est soumise à la double exigence de toute science<br />
d’observation : les vérités provisoires qu’elles dégagent doivent être à la fois<br />
démontrables <strong>et</strong> réfutables. Double contrainte difficile à communiquer aux médias<br />
<strong>et</strong> au public, qui attendent plutôt de la science des vérités irréfutables.<br />
<strong>Le</strong> problème est aggravé par une infirmité radicale des sciences sociales : par<br />
construction, elles travaillent sur des données humaines, donc des données imparfaites.<br />
L’art du démographe, du sociologue, de l’économiste, du statisticien est de<br />
savoir travailler sur des données approximatives <strong>et</strong> biaisées. Ils doivent relever le<br />
vieux défi d’une science du mouvant, qui écarte aussi bien la tentation positiviste<br />
de la fausse précision que la fuite dans le relativisme. Ni figées ni fictives, les<br />
constructions sociales sont des réalités vivantes qui réclament une approche fine <strong>et</strong><br />
diversifiée. La description des origines n’en est qu’un exemple parmi d’autres.<br />
Mais comment tenir compte des transitions, des mixages, des appartenances<br />
multiples, des doubles ententes, quand l’objectif pratique du chercheur est souvent<br />
de « styliser » les faits dans un modèle explicatif aussi économique que possible ?<br />
Questions qui se posent à toute recherche en science sociale, mais qui deviennent<br />
particulièrement aiguës dans le domaine des <strong>discriminations</strong> selon l’origine.<br />
Ces préalables étant posés, entrons dans le vif du suj<strong>et</strong> : l’examen des<br />
différentes approches.<br />
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