Inégalités et discriminations - Le Monde
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Autre stratégie : la publication de nomenclatures très agrégées. <strong>Le</strong>s graphiques<br />
publiés par l’observatoire du CSA s’en tiennent le plus souvent à la dichotomie<br />
« blanc »/« non blanc », qui suffit à différencier les premiers rôles des seconds rôles, les<br />
animateurs des musiciens, les présentateurs de personnages de fiction, <strong>et</strong>c. L’insistance<br />
est mise également sur la progression des chiffres au cours du temps.<br />
Méthode directe, méthode indirecte : le diagnostic du comité Veil<br />
Quelques points difficiles méritent néanmoins un examen attentif.<br />
<strong>Le</strong> premier est la minceur de la différence entre mesures directes <strong>et</strong> mesures<br />
indirectes de l’<strong>et</strong>hnicité. Elle doit être maintenue, mais il faut savoir qu’elle tient à<br />
peu de choses.<br />
En premier lieu, l’indirect pur n’existe pas, comme le montre bien l’exemple du<br />
vocabulaire employé par SOS-Racisme. On ne peut étudier la discrimination <strong>et</strong>hnoraciale<br />
sans en parler, de la même façon qu’on ne peut analyser les inégalités sociales<br />
sans dire en quoi elles consistent. Qui veut décrire les phénomènes d’<strong>et</strong>hnicisation <strong>et</strong><br />
de racialisation doit reprendre au moins en partie le vocabulaire commun :<br />
« impossible de développer un vocabulaire autonome, distinct de celui produit par les<br />
stéréotypes <strong>et</strong> les préjugés » (Fassin <strong>et</strong> Fassin 2006, Simon 2008 : 153).<br />
En second lieu, l’approche directe pure n’existe pas davantage. Comme le dit.<br />
Emmanuelle Saada, « pas plus aujourd’hui qu’hier, le racisme ne se réduit à une idéologie<br />
visuelle ni la race à la peau ». C’est une affaire autant culturelle que raciale. On sait peu<br />
de choses sur le fonctionnement précis du préjugé, mais tout indique que la peau estelle<br />
même, dans l’esprit des auteurs de discrimination, le signe d’autre chose, de<br />
toute une série de stéréotypes sur les anciens colonisés, leur altérité radicale, leur<br />
dangerosité, <strong>et</strong>c. Dans le droit impérial français, « le mot "race" désigne tout à la fois<br />
une réalité biologique <strong>et</strong> un ensemble de propriétés sociales <strong>et</strong> de compétences culturelles qui<br />
se manifestent dans les comportements » (Saada 2006, citée par Coquery-Vidrovitch<br />
2009 : 153-154). <strong>Le</strong> racisme n’étant pas qu’une affaire de couleur, il s’ensuit qu’à<br />
l’inverse, il ne suffit pas de rayer la couleur de la peau de la liste des critères de<br />
discrimination pour croire qu’on échappe au racial.<br />
<strong>Le</strong> commentaire du comité Veil sur la décision du Conseil constitutionnel de<br />
novembre 2007 souligne à bon droit le caractère quasiment indiscernable des<br />
méthodes d’approche directes <strong>et</strong> indirectes des caractéristiques <strong>et</strong>hno-raciales. Dans<br />
ces conditions, le raisonnement consistant à condamner l’usage des indicateurs<br />
directs A si l’on peut utiliser les indicateurs indirects A’, A’’, A’’’ peut se r<strong>et</strong>ourner<br />
comme un gant : si A <strong>et</strong> ses doubles sont proches au point d’être indiscernables,<br />
pourquoi s’interdire d’utiliser A plutôt que ses doubles ?<br />
<strong>Le</strong>s éléments à prendre en compte ici ne sauraient relever de la pure logique<br />
scientifique. Doivent intervenir ici des considérations de nature sociale, à commencer,<br />
tout simplement, par le respect des sensibilités, ce qu’on appelle le tact. Il y a des<br />
situations où le sens social ne perm<strong>et</strong> pas d’appeler un chat un chat. En revanche, les<br />
chercheurs pourraient mener des enquêtes expérimentales pour étudier le jeu des<br />
interactions entre A <strong>et</strong> ses succédanés, afin de saisir de plus près les ressorts du<br />
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