Inégalités et discriminations - Le Monde
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autorisées. Impossible, par exemple, de découvrir combien de Français sont d’origine<br />
marocaine ou même polonaise » 11 .<br />
On étonne toujours un chercheur étranger quand on lui apprend qu’il existe en<br />
France des statistiques sur les origines des migrants <strong>et</strong> de leurs descendants directs, y<br />
compris quand ils ont acquis la nationalité française, <strong>et</strong> que dans la République<br />
française, il est possible de distinguer, sur la base du recensement, les Français en<br />
fonction de leur nationalité antérieure ou de celle de leurs parents. On peut même lui<br />
expliquer que c’est précisément l’existence de statistiques <strong>et</strong>hniques qui perm<strong>et</strong><br />
d’éviter en France les statistiques <strong>et</strong>hno-raciales telles que celles adoptées par<br />
l’Angl<strong>et</strong>erre depuis le recensement de 1991.<br />
La confusion est donc à son comble. Parce que la statistique française est résolument<br />
color-blind <strong>et</strong> qu’elle n’utilise pas le vocabulaire de l’<strong>et</strong>hnicité épaisse, beaucoup<br />
s’imaginent, en France comme à l’étranger, qu’elle serait aussi origin-blind : non seulement<br />
aveugle à la couleur mais aveugle aux origines.<br />
Une idée révolue : j<strong>et</strong>er le voile sur toutes les origines<br />
Existe-t-il en France une opposition de principe à la construction de statistiques<br />
sur les origines ? Très rares sont les chercheurs français ayant préconisé une statistique<br />
strictement origin-blind ou origin-neutral, c’est-à-dire bannissant toute question<br />
sur les origines étrangères des Français au nom du « droit à l’oubli ». <strong>Le</strong>s controverses<br />
sur les statistiques « <strong>et</strong>hniques » qui ont divisé une partie des démographes depuis dix<br />
ans ont finalement produit un déplacement des positions. Alors que l’usage de la<br />
catégorie « immigrée » pouvait encore faire scandale à la fin des années quatre-vintdix,<br />
puis la simple référence à une « seconde génération », ce sont désormais les questions<br />
sur la couleur de la peau qui focalisent les débats. La loi <strong>et</strong> la jurisprudence<br />
perm<strong>et</strong>taient de longue date de collecter des données sur les origines des parents,<br />
sans que ces possibilités aient été réellement utilisées. En moins de dix ans, le front<br />
s’est déplacé. L’INSEE <strong>et</strong> l’INED ayant consolidé le principe d’une statistique color-blind<br />
mais origin-conscious, ce principe naguère pris pour cible est érigé aujourd’hui en<br />
rempart contre l’introduction de données « raciales ». À ce titre, il offre un point<br />
d’appui pour un consensus sur la question. Mais il ne faut pas s’y tromper : on ne se<br />
débarrasse pas, ce faisant, de la statistique <strong>et</strong>hnique. Passer par les informations sur<br />
les parents, c’est préférer une conception faible de l’<strong>et</strong>hnicité comme trace des origines<br />
immigrées sur plusieurs générations à une version forte d’appartenance à des<br />
groupes <strong>et</strong>hniques. Mais c’est aussi, en un sens, donner la priorité au déterminisme<br />
des origines (par transmission) sur le choix personnel (par déclaration).<br />
11 “The official French doctrine, derived from the ideals of the Revolution, then of the État laïque, is that<br />
since all citizens are equal in rights, so their racial origins, or their culture or religion, are purely a private<br />
matter. From this it follows, first, that official research and statistics about origins are not allowed. You cannot,<br />
for instance, find out how many French are of Moroccan extraction, or indeed Polish.” (J. Ardagh, France in<br />
the new Century: portrait of a changing soci<strong>et</strong>y, London: Penguin Books, 2000, p. 226 — ouvrage alors<br />
considéré en Grande-Br<strong>et</strong>agne comme une des meilleures introductions à la société française).<br />
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