Inégalités et discriminations - Le Monde
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lobbies communautaires qui cherchent à « être comptés pour compter ». La mobilisation<br />
annuelle des maires sur les opérations de recensement menées avec l’INSEE ne touche<br />
pas des communautés séparées. Et surtout, la France ne connaît pas l’équivalent des<br />
programmes d’affirmative action qui, aux États-Unis, suivent essentiellement trois<br />
canaux : les marchés publics réservés aux entreprises dirigées par des minorités (s<strong>et</strong><br />
aside contracts), l’embauche préférentielle des minorités dans les administrations ou<br />
entreprises émargeant au budg<strong>et</strong> fédéral <strong>et</strong> la sélection des nouveaux étudiants sur<br />
critères partiellement <strong>et</strong>hno-raciaux dans les universités de la majorité des États.<br />
Conçus à l’origine pour compenser les <strong>discriminations</strong> légales subies par les<br />
descendants d’esclaves <strong>et</strong> les minorités asiatiques, ces programmes ont été ouverts à<br />
la plupart des groupes issus de l’immigration, ce qui a durci leurs contours <strong>et</strong> aiguisé<br />
leur compétition.<br />
Si cursive soit elle, c<strong>et</strong>te comparaison des contextes américain <strong>et</strong> français dit assez<br />
l’abîme qui sépare les deux pays. Il ne suffit pas de mener en France des enquêtes de<br />
recherche étudiant de trop près les <strong>discriminations</strong> <strong>et</strong>hniques <strong>et</strong> raciales pour<br />
qu’aussitôt le pays bascule dans un système à l’américaine. On a coutume d’invoquer<br />
la valeur performative du discours (« dire c’est faire ») pour expliquer que les catégories<br />
statistiques seraient créatrices de réalité. Ce n’est pas faux, mais à condition de préciser<br />
que les catégories statistiques ne sont pas créatrices par elles-mêmes. La théorie<br />
performative du langage, de même que ses développements sociologiques, a toujours<br />
insisté là-dessus : la conversion du dire en faire ne se fait pas toute seule, par<br />
glissements successifs, elle exige de réunir certaines « conditions de réussite » (felicity<br />
conditions), comme disaient Austin ou Goffman, qui supposent des investissements<br />
institutionnels <strong>et</strong> la reconnaissance collective d’une autorité.<br />
<strong>Le</strong> recensement communautaire de Nouvelle-Calédonie : du déni de 2003 au rattrapage<br />
de 2009<br />
La CNIL a délibéré à plusieurs reprises sur les questionnaires du recensement de<br />
la population en Nouvelle-Calédonie, qui comportaient des questions directes sur la<br />
tribu d’origine <strong>et</strong> la communauté d’appartenance 102 . L’histoire mérite d’être contée <strong>et</strong><br />
méditée. Non qu’on veuille justifier le transfert en métropole des dispositions très<br />
particulières prises en Nouvelle-Calédonie, mais parce qu’elle fait toucher du doigt<br />
ce qu’il advient d’un principe d’égalité proclamé dans l’absolu : à nier la complexité<br />
des situations, on perd toute prise sur la réalité.<br />
Lors d’une visite à Nouméa, en juill<strong>et</strong> 2003, le président de la République, Jacques<br />
Chirac, se laissa interroger par une jeune métropolitaine vivant sur place depuis l’âge<br />
de deux ans, qui affirmait ne pas savoir dans quelle communauté se classer. La<br />
réaction du président fut très vive : « C<strong>et</strong>te idée de faire cocher une origine <strong>et</strong>hnique est<br />
scandaleuse. Je ne peux que condamner de la manière la plus sévère c<strong>et</strong>te histoire du recensement<br />
décidée par quelqu’un de tout à fait irresponsable. » Et de fustiger ces questions<br />
« illégales », en précisant : « La République ne reconnaît pas les uns <strong>et</strong> les autres en fonction<br />
de leur origine. Il n'y a qu'une réponse, vous êtes française <strong>et</strong> il y a des Français de toutes<br />
102 Délibérations de la CNIL des 10 janvier 1989, 17 octobre 1995 <strong>et</strong> 14 mars 2002.<br />
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