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Inégalités et discriminations - Le Monde

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<strong>Le</strong> patronyme comme source de stigmatisation<br />

On prête souvent aux études patronymiques la propriété d’être exemptes de<br />

toute catégorisation <strong>et</strong>hno-raciale mais c<strong>et</strong>te thèse est discutable.<br />

<strong>Le</strong>s utilisateurs de la méthode anthroponymique se défendent de relever <strong>et</strong> de<br />

classer les noms ou prénoms d’origine étrangère pour « identifier » les origines<br />

<strong>et</strong>hniques ; il doit être entendu qu’ils y voient seulement les indicateurs d’une identité<br />

stigmatisée par autrui. « Tout risque de stigmatisation d’une origine <strong>et</strong>hnique [sousentendu<br />

: par le chercheur] est écarté : le prénom n’évoque pas directement l’origine<br />

mais un ensemble de traits qui s’y rapportent (…), tout risque de repli ou de crispation<br />

communautaire est écarté puisque la communauté des « porteurs des prénoms d’origine<br />

arabe ou musulmane » est virtuelle » (ORES). Ou encore : le prénom n’est pas « un<br />

proxy de l’identité <strong>et</strong>hnique » mais seulement « l’indicateur d’une identité que l’on peut<br />

qualifier de "stigmatisable" (au sens d’Erving Goffman). <strong>Le</strong> prénom n’est à aucun moment<br />

utilisé comme un indicateur de l’origine <strong>et</strong>hnique ni même culturelle. Il ne sert pas non<br />

plus à recréer a posteriori des catégories d’origine » (Amadieu).<br />

À vrai dire, nul n’avait soupçonné les utilisateurs de la méthode patronymique<br />

de poursuivre d’autre but que de m<strong>et</strong>tre en évidence les <strong>discriminations</strong> <strong>et</strong>hnoraciales<br />

29 . Non seulement le procès d’intention n’est pas de mise mais il est inutile<br />

de s’en défendre. Car l’objectif visé est légitime : il s’agit de reconstituer grosso<br />

modo les catégories de perception <strong>et</strong> d’action des discriminateurs pour mesurer leur<br />

impact sur le sort des gens. Si ces catégories sont grossières (« arabo-musulman<br />

», « africain », « asiatique », « européen »…), voire binaires (Orient/Occident,<br />

Nord/Sud, « discriminables »/«non discriminables »…), le chercheur pourra se contenter<br />

à son tour d’une différenciation grossière ou binaire, sans se dissimuler pour<br />

autant la charge <strong>et</strong>hno-raciale ou néocoloniale qui leste ces oppositions, dont<br />

l’innocence « géographique » ou « culturelle » ne trompe personne. Mais si, d’aventure,<br />

le discriminateur en venait à différencier davantage les groupes humains, le<br />

chercheur ne devrait-il pas se faire plus précis à son tour ? Il serait surprenant, par<br />

exemple, que le traitement très différencié que la France a réservé aux populations<br />

de l’Empire, tant dans la période coloniale que pendant la décolonisation, n’ait<br />

laissé aucune séquelle dans la structuration des préjugés en France. Dans le regard<br />

de certains, le monde « arabo-musulman », par exemple, ne fait pas bloc, il se différencie<br />

en ses composantes marocaine, algérienne, tunisienne, libanaise, syrienne,<br />

turque, iranienne <strong>et</strong> autres, voire entre certains groupes au sein de ces ensembles<br />

(dont l’opposition arabe/kabyle est la plus connue, tant elle fut prisée sous la<br />

colonie), <strong>et</strong> ces différences pourraient inspirer ainsi certaines formes de discrimination.<br />

Comment le savoir ? En vérifiant l’hypothèse a posteriori.<br />

29 Dans le cas de l’étude du HCI, l’objectif peut sembler différent, mais on peut penser que le<br />

fait de mesurer la diversité d’une assemblée, fût-ce sur un mode minimal, j<strong>et</strong>te une lumière<br />

indirecte sur les préjugés <strong>et</strong>hno-raciaux qui imprègnent les partis politiques ou le corps électoral<br />

(voire sur les préjugés qui règnent au sein des partis à propos des préjugés de l’électorat <strong>et</strong> qui les<br />

empêcheraient de présenter davantage de « candidats issus de la diversité » — selon le modèle bien<br />

connu de la discrimination « probabiliste »).<br />

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