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Inégalités et discriminations - Le Monde

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liés à la méthode. Or le prénom n’est pas un marqueur indépendant de la<br />

problématique qui justifie son enregistrement, à savoir l’observation des<br />

trajectoires d’intégration ou l’exposition à des dynamiques discriminatoires du fait<br />

de l’origine. <strong>Le</strong> choix par les familles d’attribuer un prénom plus ou moins marqué<br />

culturellement ne peut être séparé des stratégies d’ascension sociale ou, plus<br />

généralement, de la volonté qu’ont certaines de se faire invisibles.<br />

C’est ce que constatent les travaux menés sur les Hispaniques aux États-Unis<br />

(Sue <strong>et</strong> Telles 2007) <strong>et</strong> c’est ce que confirme l’une des rares études quantitatives<br />

consacrées aux prénoms des enfants d’immigrés en France (Val<strong>et</strong>as <strong>et</strong> Bringé 2005).<br />

Sur la base de l’enquête MGIS conduite en 1992, Marie-France Val<strong>et</strong>as <strong>et</strong> Arnaud<br />

Bringé montrent l’évolution sensible des familles originaires d’Algérie à c<strong>et</strong> égard :<br />

si les parents nés au pays choisissent trois fois sur quatre un prénom « traditionnel »<br />

pour leurs enfants, la génération née en France préfère largement des prénoms<br />

« internationaux » (38 %) ou « français » (22 %) <strong>et</strong> commence à délaisser les prénoms<br />

« maghrébins traditionnels » (20 %) ou « modernes » (20 %).<br />

Quant aux patronymes, il est effectivement possible d’évaluer leur prévalence<br />

dans chaque aire géographico-culturelle <strong>et</strong> de considérer que leurs porteurs s’y<br />

rattachent directement (par migration) ou indirectement (par la migration d’un<br />

ascendant). <strong>Le</strong>s techniques de rattachement varient. La plupart des études reposent<br />

sur un chiffrement manuel, fondé sur une reconnaissance individuelle (le chercheur<br />

ou un tiers classe chaque patronyme dans une liste de catégories) ou sur des<br />

nomenclatures préalables (l’ORES a récupéré ainsi l’expertise d’une association<br />

lilloise qui a établi un « manuel orthographique des prénoms français d’origine arabe ou<br />

musulmane » repérés dans la base nationale des prénoms de l’INSEE). Ce type de<br />

chiffrement laisse une marge variable à la subjectivité des codeurs, notamment<br />

pour les cas équivoques. La stabilité du codage d’un codeur à l’autre n’est pas<br />

assurée. <strong>Le</strong>s notices méthodologiques qui accompagnent les études citées restent<br />

relativement vagues sur les éventuels eff<strong>et</strong>s des choix de codage effectués.<br />

Toute c<strong>et</strong>te variabilité est dans la nature sociale des choses, dira-t-on, <strong>et</strong> tout<br />

l’art du statisticien est de faire des hypothèses hautes <strong>et</strong> basses sur les biais qui en<br />

découlent afin d’approcher au mieux ces réalités mouvantes. Rien de surprenant à<br />

cela.<br />

Ce qui étonne en revanche, c’est qu’on ait pu présenter si souvent la méthode<br />

patronymique comme l’exemple même de la méthode objective en l’opposant aux<br />

méthodes de catégorisation des origines, qu’elles soient déclarées par les personnes<br />

ou que ces dernières les imputent à autrui. Celles-ci seraient trop « subjectives » <strong>et</strong><br />

verseraient dans l’« assignation identitaire ». Ce raisonnement est difficilement compréhensible.<br />

On a beau tourner <strong>et</strong> r<strong>et</strong>ourner la question, on ne voit pas en quoi la<br />

méthode patronymique échapperait aux mêmes reproches : donner un prénom,<br />

c’est assigner une identité à son enfant, c’est concrétiser une préférence, c’est<br />

objectiver du subjectif. Interpréter le nom ou le prénom d’autrui, comme le fait le<br />

discriminateur, c’est assigner une identité. Reconstituer le mécanisme de c<strong>et</strong>te assignation<br />

en essayant à son tour d’interpréter la charge <strong>et</strong>hnique des noms ou des<br />

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