Inégalités et discriminations - Le Monde
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un avantage 55 . <strong>Le</strong> raisonnement du législateur belge, tel que le restitue Julie<br />
Ringelheim (2008 : 83), est le suivant : la raison majeure qui conduit à douter de la<br />
liberté du consentement émis par un salarié ou par un postulant à l’emploi est le fait<br />
que l’employeur peut le priver d’un avantage mérité, voire d’une possibilité de<br />
recrutement, s’il refuse de répondre. Mais la situation est modifiée si la collecte des<br />
données a pour finalité l’octroi d’un avantage conforme aux exigences de la loi : on<br />
ne voit plus quel intérêt aurait l’employeur à faire pression sur le salarié pour<br />
l’obliger à répondre ; l’employé ou le postulant a tout intérêt à répondre, si bien que<br />
les intérêts des deux parties convergent spontanément.<br />
Dans le contexte français, toutefois, un tel raisonnement est peu convaincant. Il se<br />
situe dans la perspective, jugée positive a priori, d’un monitoring <strong>et</strong>hnique. Or c<strong>et</strong> optimisme<br />
n’est guère partagé en France, où l’on doute fort qu’une opération de discrimination<br />
positive suffise à lever tout soupçon de pression de la part de l’employeur<br />
<strong>et</strong> garantisse la pleine liberté du consentement.<br />
La dérogation au traitement de données sensibles pour cause de consentement<br />
est dénoncée par la CNIL pour un autre motif : la CNIL se r<strong>et</strong>rouve dessaisie du dossier dès<br />
lors que l’intéressé donne son consentement exprès à la collecte de données, fussent-elles<br />
ultra-sensibles. Si la CNIL ne souhaite priver personne de sa liberté de consentement,<br />
elle considère que c<strong>et</strong>te faculté ne suffit pas à garantir à l’individu les protections<br />
nécessaires <strong>et</strong> que le degré de sensibilité des données doit être le critère dominant de<br />
son travail d’appréciation. Aussi voit-elle dans c<strong>et</strong>te disposition dérogatoire de la loi<br />
une anomalie à corriger dès que possible. <strong>Le</strong> COMEDD partage son analyse.<br />
À l’appui de c<strong>et</strong>te position sur les limites du consentement éclairé, on peut<br />
invoquer une analyse d’ordre philosophique sur la relation entre responsabilité<br />
individuelle <strong>et</strong> responsabilité collective. Dans une perspective « libertarienne » ou<br />
d’éthique « minimaliste », le principe dominant est « la capacité à déterminer soi-même la<br />
nature <strong>et</strong> l’usage des informations personnelles recueillies à son propre suj<strong>et</strong> », telle que l’a<br />
définie la Cour constitutionnelle de Karlsruhe dans une décision très remarquée qui<br />
provoqua la suspension du recensement allemand de 1983 56 . Ce principe d’informationale<br />
Selbstbestimmung (en anglais : informational self-d<strong>et</strong>ermination) est très influent<br />
en Europe ; il est très prisé des libertariens américains.<br />
Mais c<strong>et</strong>te définition toute subjective de la privacy (« moi seul puis consentir à<br />
répondre à un questionnaire », « moi seul puis décider de livrer à un tiers des informations<br />
personnelles ») risquerait, si elle était portée à l’extrême, d’empêcher toute analyse<br />
objective des dangers inhérents à certains types de données <strong>et</strong> à leur traitement. <strong>Le</strong><br />
droit français tente de concilier les deux versants : il évite le double écueil du<br />
paternalisme (décider à la place d’autrui ce qui est bon pour lui) <strong>et</strong> du relativisme<br />
(laisser chaque individu juge du bien commun). Pour ce faire, il doit poser que<br />
l’agrégation des décisions individuelles, si libres soient-elles, peut avoir des conséquences<br />
négatives pour autrui, notamment pour les autres salariés de l’entreprise. La<br />
55 Art. 27-2 de l’arrêté royal portant exécution de la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection<br />
de la vie privée à l’égard des traitements de données personnelles, Moniteur belge, 13 février 2001.<br />
56 Bundes Verfassungsgericht 65-1, 15 déc. 1983.<br />
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