Inégalités et discriminations - Le Monde
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- Enfin, si le patronyme ou le prénom ne sont pas expressément mentionnés<br />
par la loi Informatique <strong>et</strong> libertés, chacun comprend que l’extrême attention<br />
portée aux données « indirectement nominatives », combinée au risque de<br />
faire « apparaître directement ou indirectement les origines raciales ou <strong>et</strong>hniques »,<br />
fait logiquement du patronyme ou du prénom une donnée ultra-sensible en<br />
matière d’enquêtes statistiques.<br />
Plus généralement, comparer les données sensibles de la loi Informatique <strong>et</strong><br />
libertés aux motifs de discrimination énumérés dans le Code pénal, c’est m<strong>et</strong>tre en<br />
évidence une dissociation, à savoir qu’un motif potentiel de discrimination n’est pas<br />
nécessairement une donnée sensible. La loi condamne les <strong>discriminations</strong> selon le sexe,<br />
l’âge, la situation de famille <strong>et</strong> l’état de grossesse mais ces critères n’en constituent pas<br />
moins des variables de base pour le sociologue, l’économiste ou le démographe. Il<br />
leur arrive de dresser une pyramide des âges sans verser dans le sexisme ni dans<br />
l’âgisme.<br />
Peut-on généraliser le raisonnement <strong>et</strong> considérer qu’on ne divise pas une société<br />
quand on étudie ses divisions ? Cela va de soi quand on a affaire à des critères de<br />
division non sensibles, comme le sexe, l’âge ou la charge de famille. Si le sexe est une<br />
catégorie d’analyse légitime, il n’est pas toujours légitime en tant que catégorie d’action.<br />
Mais qu’en est-il quand on manie des critères sensibles au sens de la loi Informatique<br />
<strong>et</strong> libertés, comme les origines ou l’apparence physique ? La réponse du droit est<br />
complexe. Si de telles données restent illégitimes en tant que critères de gestion ou de<br />
décision, leur usage à des fins d’étude ou de diagnostic reste possible moyennant des<br />
conditions très précises. Tel est précisément l’obj<strong>et</strong> de l’article 8 de la loi.<br />
Larticle 8 de la loi de 2004 : une interdiction de principe sur le traitement des données<br />
sensibles, assortie dune dizaine de dérogations<br />
Se pose maintenant une question cruciale : les études statistiques peuvent-elles<br />
légalement traiter les données sensibles ? <strong>et</strong>, le cas échéant, les données sensibles<br />
relatives aux origines des personnes ? Dans l’état actuel du droit <strong>et</strong> contrairement à<br />
une idée reçue, la réponse est oui.<br />
Avant d’aborder spécifiquement la question des statistiques de la diversité, il<br />
convient d’exposer l’ensemble du système dérogatoire sur les données sensibles dans<br />
le dispositif légal en vigueur.<br />
L’article 8-I de la loi Informatique <strong>et</strong> libertés articule clairement les deux vol<strong>et</strong>s. Il<br />
commence par énoncer avec force une interdiction de principe contre le traitement de<br />
données sensibles 48 . Mais il assortit aussitôt ce principe d’une dizaine de dérogations<br />
en 8-II, 8-III <strong>et</strong> 8-IV. Il vaut la peine de citer in extenso l’article 8 en m<strong>et</strong>tant en relief les<br />
48<br />
On mesure la force de c<strong>et</strong>te interdiction à l’ampleur des sanctions prévues par le Code pénal<br />
(article 226-19) : les contrevenants encourent jusqu’à 5 ans d’emprisonnement <strong>et</strong> 300 000 euros<br />
d’amende. C’est plus que la discrimination elle-même, définie à l'article 225-1, qui est punie de trois<br />
ans d'emprisonnement <strong>et</strong> de 45 000 euros d'amende pour les refus de biens <strong>et</strong> de service, les refus<br />
d’embauche, les sanctions <strong>et</strong> licenciements fondés sur des motifs discriminatoires (les peines sont<br />
toutefois augmentées lorsque le refus discriminatoire est commis dans un lieu qui accueille du public :<br />
jusqu’à 5 ans d'emprisonnement <strong>et</strong> 75 000 euros d'amende).<br />
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