Inégalités et discriminations - Le Monde
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Il faut s’interroger, en second lieu, sur la place qu’occupent dans ce cadre général<br />
les données sur la diversité des origines, dites couramment « statistiques <strong>et</strong>hniques ».<br />
Sont-elles jugées plus sensibles que les données évoquées à l’instant ? La réponse est<br />
négative : pas plus que les données sur la sexualité, le handicap, la santé, la violence ou<br />
l’exclusion, les données sur les origines personnelles ne font l’obj<strong>et</strong> d’une interdiction absolue<br />
en France. À la question de savoir si on peut les traiter statistiquement, la loi<br />
Informatique <strong>et</strong> libertés livre la même réponse que pour toute autre donnée sensible :<br />
c’est une réponse nuancée, de la forme « non, sauf si… ». On objectera peut-être<br />
qu’une interdiction de principe est passablement émoussée si elles est assortie de tant<br />
d’exceptions. Mais c<strong>et</strong>te crainte n’est pas justifiée. <strong>Le</strong> seul usage possible de ces<br />
dérogations est un usage raisonné <strong>et</strong> rationné, c’est-à-dire dûment contrôlé par des<br />
instances compétentes <strong>et</strong> confié à des professionnels responsables. Dans ce domaine<br />
comme en d’autres, l’encadrement légal de l’activité statistique échappe au<br />
manichéisme du tout interdit <strong>et</strong> du tout permis. Face au scientifique ou à l’expert qui se<br />
risque à explorer le revers du monde social, la loi ne somme pas de choisir entre la<br />
censure <strong>et</strong> la licence. Elle ouvre le champ à un pouvoir d’appréciation. <strong>Le</strong> principe<br />
d’une telle approche n’est pas dualiste mais, si l’on peut dire, gradualiste. Sans c<strong>et</strong>te<br />
attitude responsable <strong>et</strong> raisonnée, qui pratique des ouvertures en prenant soin de les<br />
encadrer, les enquêtes qui se sont multipliées depuis plusieurs décennies n’auraient<br />
jamais pu se faire <strong>et</strong> nos connaissances sur les questions les plus sensibles <strong>et</strong> les plus<br />
obscures de la société française n’auraient jamais progressé comme elles l’ont fait.<br />
La question à traiter est donc de savoir s’il doit exister une dérogation dans la<br />
dérogation : les « origines <strong>et</strong>hniques <strong>et</strong> raciales » sont-elles l’unique forme de données<br />
ultrasensibles pour lesquelles aucune exception ne doit être tolérée en faveur de la<br />
recherche ou du diagnostic social ? La loi répond clairement par la négative. Mais il<br />
reste à concrétiser ce principe dans son application concrète : c’est l’obj<strong>et</strong> de la section<br />
qui suit. Après quoi, on s’interrogera sur les eff<strong>et</strong>s de la décision du Conseil<br />
constitutionnel de novembre 2007 relative aux statistiques <strong>et</strong>hniques.<br />
B. – L’application concrète de la loi : persistance du clivage public/privé<br />
<strong>Le</strong> cadre juridique qu’on vient d’exposer impose de nombreuses contraintes aux<br />
traitements statistiques relatifs à la mesure de la diversité. Qu’en est-il de leur mise<br />
en œuvre ? La réalité est pour le moins contrastée. Si les traitements réalisés par les<br />
services de la statistique publique sont soumis à des contrôles renforcés, d’autres<br />
enquêtes s’en affranchissent largement pour peu qu’elles soient menées à la périphérie<br />
du système public (par exemple par des universitaires à leur compte), hors du<br />
système public (par des instituts de sondage) ou depuis une position internationale<br />
(par des consortiums européens). Pour des raisons qui peuvent être objectives <strong>et</strong> qui<br />
ne traduisent pas nécessairement une volonté défaillante, le contrôle public centralisé<br />
peine à s’étendre au-delà du public <strong>et</strong> du centre. Une réponse pragmatique à c<strong>et</strong>te<br />
difficulté structurelle a été la nomination de « correspondants informatique <strong>et</strong> libertés »<br />
agréés par la CNIL parmi les opérateurs qui créent des traitements automatisés, y<br />
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