Inégalités et discriminations - Le Monde
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prévenus. Plus il y a de chances aussi (hypothèse hardie, on en convient) que l’affaire<br />
ne passe pas en justice, parce qu’en amont les recruteurs ou les bailleurs auront pu se<br />
référer à des données externes susceptibles de les aider dans leurs actions anti<strong>discriminations</strong>.<br />
Si, inversement, l’État s’avère incapable de monter un appareil statistique suffisamment<br />
performant pour aider à la démonstration statistique d’une discrimination<br />
indirecte, ce n’est pas aux plaignants ou aux prévenus de supporter le surcoût qui<br />
résulte de son impéritie ou de son incurie. Un juge peut certes suppléer aux défaillances<br />
de l’État en substituant sa statistique spontanée à la statistique formelle, c’està-dire<br />
le sens commun à une information objective, mais on ne saurait tenir c<strong>et</strong>te<br />
situation pour optimale.<br />
Loutil statistique, instrument vertueux dune politique antidiscrimination<br />
<strong>Le</strong>s développements qui précèdent évoquent le rôle de la statistique comme<br />
fournisseur d’éléments de preuve dans les prétoires. Mais il faut élargir le propos audelà<br />
des actions judiciaires. <strong>Le</strong>s administrations, les collectivités locales, les<br />
entreprises, les associations ont toutes intérêt à pouvoir disposer de données de<br />
cadrage disponibles sur la diversité des origines dans leur secteur ou leur bassin<br />
d’activité, les données d’enquête valant davantage pour décrire finement des<br />
mécanismes. On peut alors s’aventurer à penser que la disponibilité des données de<br />
cadrage apportera à tous les intéressés, qu’ils soient auteurs ou obj<strong>et</strong>s potentiels de<br />
discrimination, des alertes qui les aideront à rectifier d’eux-mêmes le tir, sans avoir<br />
besoin de passer par les tribunaux.<br />
Avec l’avènement du concept de « discrimination indirecte » l’action contre les<br />
<strong>discriminations</strong> prend une nouvelle dimension. <strong>Le</strong> fait que l’intentionnalité ne soit<br />
plus le critère déterminant de l’action juridique change considérablement le point de<br />
vue. La lutte contre le racisme, entendue comme la chasse aux actes <strong>et</strong> aux discours<br />
explicitement racistes, reste légitime, mais elle ne peut plus ignorer le principe de<br />
non-discrimination, c’est-à-dire l’absence de conséquences négatives ou défavorables<br />
d’une caractéristique prohibée (sexe, origine, handicap, <strong>et</strong>c.).<br />
La prise en compte de la discrimination indirecte ne suppose pas obligatoirement<br />
de recourir à des statistiques pour démontrer (dans un sens cognitif) ou prouver<br />
(dans un sens juridique) l’existence de discrimination. On notera que des politiques<br />
peuvent considérer l’existence de <strong>discriminations</strong> sans que celles-ci soient possibles à<br />
prouver dans une arène judiciaire. La question de la précision de la détermination de<br />
la discrimination, séparée d’autres eff<strong>et</strong>s d’inégalité, devient rapidement oiseuse. Si<br />
l’on comprend bien qu’une condamnation pénale ou civile doivent s’établir sur la<br />
base de preuves irréfutables, ou du moins d’un faisceau d’informations congruentes<br />
susceptibles d’emporter la conviction du juge, une telle exigence ne saurait valoir<br />
pour des approches d’action en « remédiation », où l’enjeu est plutôt de faire reconnaître<br />
en généralité l’existence de situations discriminatoires afin d’enclencher des<br />
réponses adaptées.<br />
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