Inégalités et discriminations - Le Monde
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<strong>Le</strong> travail pionnier des chercheurs <strong>et</strong> des associations antiracistes : vers une<br />
convergence ?<br />
Dans ces conditions, pourquoi une partie du monde associatif a-t-il pu considérer,<br />
dans une période encore récente, que le monde de la recherche adoptait une<br />
approche des <strong>discriminations</strong> antagoniste de la sienne ? Dans le cas de la France, une<br />
part de l’explication tient au fait que les statisticiens <strong>et</strong> les chercheurs ont longtemps<br />
manqué à leur devoir en laissant de côté les phénomènes de discrimination, censés<br />
n’être qu’un chapitre secondaire des inégalités sociales. Par ailleurs, les outils<br />
descriptifs faisaient défaut : on se contentait généralement de travailler sur des<br />
nationalités actuelles. Paru dès 1956, le livre d’Andrée Michel, chercheuse au CNRS<br />
connaissant bien les États-Unis, contenait un chapitre pionnier sur les <strong>discriminations</strong>,<br />
mais le suj<strong>et</strong> n’était pas assez noble pour les grands sociologues de l’époque,<br />
qui jugeaient c<strong>et</strong>te thématique « typiquement américaine » inappropriée au cas<br />
français (Michel 1956). Du coup, les associations ont été contraintes de prendre ellesmêmes<br />
en charge le travail d’objectivation. C’est ainsi que SOS Racisme a apporté<br />
une contribution historique décisive à la promotion du test de situation ou testing <strong>et</strong><br />
que, tout récemment, la Fondation Soros a financé une observation de grande<br />
ampleur sur les « contrôles au faciès » de la police parisienne.<br />
Dans l’intervalle, les organismes publics d’étude <strong>et</strong> de recherche ont eu beau<br />
développer de vastes enquêtes attestant la nature <strong>et</strong> l’ampleur des <strong>discriminations</strong>,<br />
l’impact est resté limité en raison de l’obligation de travailler uniquement sur des<br />
indicateurs indirects, comme le pays de naissance ou l’ancienne nationalité. Elles<br />
étudiait par des voies indirectes l’impact des <strong>discriminations</strong> <strong>et</strong>hno-raciales sur les<br />
trajectoires individuelles au lieu de reconstituer plus directement les préjugés des<br />
discriminateurs, comme le fait le test patronymique à l’embauche.<br />
C’est entre autres pour combler le fossé qui semblait séparer les observations<br />
expérimentales des enquêtes standardisées que l’enquête Trajectoires <strong>et</strong> origines<br />
(TEO) a été conçue par l’INED <strong>et</strong> l’INSEE avec plusieurs organismes de recherche ou<br />
d’étude. Certes, la voie d’entrée est la personne discriminée elle-même, dont on<br />
recueille les témoignages sur des cas réels de discrimination. Mais, en fin de compte,<br />
ce qu’on produit ainsi, en confrontant des échantillons représentatifs de personnes<br />
exposées à la discrimination par leurs origines <strong>et</strong> un échantillon-témoin, c’est bien<br />
l’équivalent d’un gigantesque testing à l’échelle nationale. Enquête statistique <strong>et</strong><br />
testing reposent tous deux sur le principe de la comparaison « toutes choses égales<br />
par ailleurs ». Quand l’enquête TEO aura pleinement rendu ses résultats, il apparaîtra<br />
en pleine lumière qu’un tel dispositif est complémentaire du travail d’objectivation<br />
des associations <strong>et</strong> qu’il est logique que les deux types d’action bénéficient pour les<br />
mêmes raisons de la même batterie de dérogations. Plus généralement, il faut espérer<br />
que sera levé un jour l’étrange soupçon selon lequel recueillir le point de vue des<br />
discriminés vous m<strong>et</strong> du côté des discriminateurs.<br />
Aujourd’hui, le contexte a changé. Avec persévérance, la Ligue des droits de<br />
l’Homme <strong>et</strong> du citoyen a multiplié les rencontres d’information entre statisticiens,<br />
sociologues, juristes <strong>et</strong> experts des associations, qui ont dissipé bien des malen-<br />
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