Inégalités et discriminations - Le Monde
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<strong>et</strong>hnies (par exemple dans le cas des langues véhiculaires) <strong>et</strong>, inversement, plusieurs<br />
langues pour un même peuple ou une même <strong>et</strong>hnie (comme dans les cas de<br />
diglossie). <strong>Le</strong> même raisonnement a été tenu, mais c<strong>et</strong>te fois à une tout autre échelle<br />
puisque l’échantillon interrogé passait de 5000 à 400 000 personnes, pour le vol<strong>et</strong><br />
linguistique de l’enquête Famille associée au recensement de 1999. La CNIL a confirmé<br />
que la langue d’usage au sein de la famille <strong>et</strong> la transmission des langues d’une<br />
génération à l’autre ne relevaient pas de l’article 31 de la loi informatique <strong>et</strong> liberté<br />
(ancêtre de l’actuel article 8) <strong>et</strong>, par voie de conséquence, n’était pas assimilable à des<br />
données sensibles 129 .<br />
À bien y réfléchir, pourtant, la CNIL a donné son aval à un traitement de données<br />
dont la charge <strong>et</strong>hnique est variable. Une question ouverte du genre : « En quels<br />
langues ou dialectes votre mère avait-elle l’habitude de vous parler quand vous étiez<br />
enfant ? » recueille, en eff<strong>et</strong>, une grande variété d’intitulés (environ 600 langues de<br />
base dans l’enquête Famille de 1999). On y trouve de nombreux parlers d’Europe,<br />
d’Afrique <strong>et</strong> d’Asie, où se mêlent les langues « régionales », les langues frontalières,<br />
les langues véhiculaires, les langues introduites par les migrants. La distribution des<br />
réponses obtenues obéit à la loi de Zipf (ou de Par<strong>et</strong>o) : un p<strong>et</strong>it nombre de langues<br />
concentré sur beaucoup de locuteurs, un grand nombre de langues dispersés sur peu<br />
de locuteurs. Dans certains cas, les enquêtes concernées font apparaître —<br />
évidemment sur un mode anonyme — les locuteurs de langues telles que le kabyle,<br />
le kurde, le senoufo, l’ewe, le hmong… mais aussi l’alsacien, le platt lorrain, le<br />
catalan, l’occitan, les langues d’oïl, le basque, le frioulan, le schywzerdeutsch, <strong>et</strong>c. <strong>Le</strong>s<br />
populations porteuses de ces langues représentent des ensembles infranationaux ou<br />
transnationaux (dans le cas du catalan ou du basque, par exemple) qu’on a l’habitude<br />
d’appeler, selon le cas, « <strong>et</strong>hnies », « peuples », « régions », « groupes », « minorités »,<br />
« cultures »… Dans d’autres cas, les langues véhiculaires ne délimitent pas d’ensemble<br />
<strong>et</strong>hnique précis (bambara, haoussa, swahili…). Dans d’autres enfin, les<br />
intitulés de langues correspondent à des familles de langues, issues parfois d’un<br />
royaume ancien, mais aujourd’hui transnationales ou inter<strong>et</strong>hniques, même si elles<br />
peuvent faire l’obj<strong>et</strong> d’affiliations très vivantes. C’est le cas des langues « mandé »<br />
qui englobent le mandingue, le bambara ou le malinké : issues de l’empire mandé du<br />
Mali, elles sont réparties sur sept ou huit pays d’Afrique de l’Ouest 130 .<br />
129 Délibération n° 94-020 du 1 er mars 1994 portant avis favorable à la mise en œuvre, par l'INSEE<br />
d'un traitement automatisé d'informations nominatives relatif à un test de l'enquête Famille.<br />
130 La référence aux Mandés a été l’obj<strong>et</strong> d’une âpre controverse entre Michèle Tribalat <strong>et</strong> Hervé <strong>Le</strong><br />
Bras en 1998. La première soutenait que la plupart des cas de polygamie observables en France avaient<br />
pour origine « l’<strong>et</strong>hnie mandé » <strong>et</strong> en proposait une estimation chiffrée, tandis que le second n’eut pas<br />
de peine à montrer que les effectifs de l’enquête ne perm<strong>et</strong>taient pas c<strong>et</strong>te déduction. <strong>Le</strong> Bras avait<br />
raison sur le plan technique. Sa condamnation systématique de toute donnée <strong>et</strong>hnique relève en<br />
revanche d’un autre type d’argument. Elle repose sur une vision constructiviste, consistant à dire que<br />
les Mandés n’étaient qu’une fiction. En l’occurrence, les Mandés existent bel <strong>et</strong> bien : on trouve de<br />
nombreuses « associations mandé » en Afrique de l’Ouest <strong>et</strong> parmi les migrants installés en Europe<br />
(Dozon in CARSED 2009 : ww). Simplement, il ne s’agit pas d’une <strong>et</strong>hnie mais d’une famille de langues<br />
issues d’un empire disparu, comparable à la famille des langues « latines » issues de l’Empire romain.<br />
Quant à la polygamie, c’est un phénomène trop répandu en Afrique de l’Ouest pour être assignable à<br />
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