DIGITHÈQUE - Université Libre de Bruxelles

110 ANDRÉ BRUYNEEL
ou non en danger. Puis, à partir de 1790 environ, la nécessité
de la violence elle-même commença à être contestée.
Un premier pas fut fait dans l'affaire Evans v. Evans (5)
lorsque Lord 8towell, dans un jugement célèbre, particulièrement
révéré aux Etats-Unis, considéra que la crainte de la
violence pouvait être constitutive de cruelty. La violence
demeurait cependant le critère essentiel.
La deuxième moitié du XlX e siècle connut une lutte pour
une nouvelle extension : fallait-il accepter la cruauté dans des
cas où il n'y avait même pas violence ou menace de violenceP
Le célèbre cas Russell v. Russell (6), décisif à bien des égards,
évita le dilemme et plaça le problème sur un autre plan: celui
du dommage à la santé (in jury to health). En l'espèce, aucune
violence ou menace de violence n'était alléguée contre l'autre
époux, mais bien plutôt un ensemble de propos et d'attitudes:
« si le mari ou la femme engage constamment et impose des
sujets de conversation qui doivent nécessairement causer une
extrême irritation ou de la détresse mentale; recourt constamment
à des reproches pour inconduite passée, avec le même
résultat; emploie constamment un langage injurieux et blessant,
ou formule constamment des reproches non fondés
d'inconduite morale, ou même d'actes délictueux de caractère
grave: en ce cas, s'il est prouvé qu'il en résulte un dommage
à la santé, ou qu'il existe une crainte raisonnable de pareil
dommage, semblable attitude équivaut à la cruauté légale ... )).
Cette affaire a opéré une fixation du droit anglais sur le
dommage à la santé, alors que la minorité de la Chambre des
Lords voulait aller plus loin et définir la cruauté comme toute
conduite rendant la vie matrimoniale impossible. Le pas n'a
point été fait depuis; le dilemme, conduite violente ou nonviolente,
n'a jamais reçu de réponse ferme.
Mais de plus en plus les juges ont étudié les conséquences
de la conduite plutôt que la conduite elle-même, pour établir
s'il y avait cruauté. Ce glissement était inévitable:
- d'une part, parce que les conséquences sont plus actuelles
et plus faciles à prouver et à apprécier par le magistrat qu'une
conduite passée;
(5) (1790) 1 Hag. Con. 35; 161 E. R. 466.
(6) (1895)" P. 315 (C. A.) et (1897) A. C. 395 (H. L.).