DIGITHÈQUE - Université Libre de Bruxelles

454 JEAN TERRASSE
séparé de l'univers, n'était que la conscience ou le reflet de
son « être-pour-autrui )), mais que plus tard il rejoindra en se
projetant, en quelque sorte, hors de lui-même, en se fondant
avec l'objet qui miroitait en lui. Quoi d'étonnant, dès lors, à
ce que le reflet symbolise l'absence de l'être à la pensée qui
le connaît, ou la monotonie d'une conscience réduite à ellemême,
parce que détachée du mondeP
Les vents mêmes ne remuent point les branches
Des vieux mélèzes, qui se penchent
Là-bas, où se mirent, en des marais,
Obstinément, des yeux abstraits (30).
Et, plus explicitement encore :
Le cheval paît l'herbe d'automne
Près d'une mare monotone (31).
D'abord le miroitement, puis la surface plane (étang,
marais) qui le capte, enfin l'objet y reflété (étoiles, lune) symbolisent
donc, d'une manière générale, l'uniformité, l'inertie.
On dit que la solitude effraie. Ainsi de la monotonie. Un paysage
terne, immobile absolument, est souvent lourd d'angoisse.
On songe à une conspiration du silence, à la présence
secrète de forces terrifiantes et obscures. On s'en inquiète. On
a peur. Le symbole, perdant de sa « neutralité», se charge
tout naturellement d'affectivité:
Les gens d'ici ont peur de l'ombre sur leurs champs,
De la lune sur leurs étangs C'2).
Survient le dégotît :
L' heure est venue ...
Où les marais visqueux et blancs
Brassent les fièvres empoisonnées (U).
Suivant la loi de ressemblance ou d'association, d'autres
symboles acquerront mêmes valeurs, et leur évolution séman-
CIO) Le Silence (Villages illusoires). Les « yeux abstraits» sont ceux
du Silence.
(31) Le Donneur de mauvais conseils (Campagnes hallucinées).
( 12 ) Le Départ (Campagnes hallucinées).
(33) Les fièvres (Ibid.).