DIGITHÈQUE - Université Libre de Bruxelles

DE HAMLET À GAMLET 335
peut manquer de tenter un réalisateur ambitieux; depuis que
la. technique du parlant a permis de conjuguer à l'écran la
magie de l'image et celle du verbe, la tentation est plus forte
encore C). Mais Hamlet est aussi une pièce déroutante et multiple,
et une des œuvres les plus longues de Shakespeare. Toute
adaptation, à la scène comme à l'écran, doit donc viser à raccourcir,
et pose le problème des amputations et de leurs conséquences.
Comme le dit Jan Kott, on ne peut jouer que l'un des
Hamlet latents dans ce superdrame et ce sera toujours un
Hamlet plus pauvre que celui de Shakespeare C). C'est précisément
dans la mesure où les inévitables suppressions révèlent
une prise de position initiale et obéissent ensuite à un enchaînement
des choix, que le critère de la « fidélité» à Shakespeare
se révélera fructueux. Il convient toutefois que j'encadre le mot
fidélité de guillemets, car même lorsqu'on a respecté le texte,
l'image filmée l'habille et le prolonge de manière beaucoup
plus déterminante qu'une mise en scène de théâtre. Les deux
films ne pouvaient être que des œuvres éminemment personnelles.
Peut-être serait-il plus juste de dire que l'on examinera
ici suivant quelle logique se sont consommées deux trahisons.
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Le film de Laurence Olivier s'ouvre par une prise de position
sans équivoque ... qui n'est certes pas dans Shakespeare.
En effet, les premières images montrent la plate-forme du donjon
d'Elseneur, sur laquelle se dressent quatre capitaines portant
le corps de Ramlet; en guise d'oraison funèbre du prince,
une voix récite le passage de l, 4, où Ramlet lui-même déplore
l'ivrognerie de ses compatriotes, « unique défaut capable de
corrompre toutes les vertus, fussent-elles pures autant que la
grâce, et nombreuses autant qu'un homme peut en assumer
C) ».
(1) Il existerait 18 adaptations filmées de Hamlet. Je n'ai pu contrôler
ce chiffre, et j'ignore s'il s'agit d'œuvres complètes ou de fragments.
Si j'en juge par la durée de projection (150 minutes dans les deux cas),
le film de Laurence Olivier et celui de Kozintsev ont été présentés au
Musée du Cinéma à Bruxelles en version intégrale.
(2) Jan KOTT, Shakespeare, notre Contemporain, version française
définitive (Marabout), p. 74.
(3) Toutes mes citations sont empruntées à la traduction française
d'A. Gide (Bibliothèque de la Pléiade, N.R.F., Gallimard, Paris).