DIGITHÈQUE - Université Libre de Bruxelles
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148 BIBLIOGRAPHIE<br />
Toujours aiguillée par l'admiration, il lui arrive même <strong>de</strong> décrire,<br />
en Sartre, non sans une savoureuse franchise, la psychologie du bou<strong>de</strong>ur<br />
(p. 47) ou, quelquefois, d'être indulgente au point d'appeler « dédale <strong>de</strong><br />
la pensée» (p. 82) ce qui est, chez lui, simplement mal décrit ou écrit<br />
trop vite.<br />
C'est souvent par l'analyse du style, voire du vocabulaire, par<br />
l'analyse <strong>de</strong>s procédés <strong>de</strong> persuasion que Lilar montre comment et à quel<br />
moment du raisonnement, Sartre, son Sartre, quitte le terrain <strong>de</strong><br />
l'argumentation pour vitaliser, pour imaginer, pour personnaliser, - en<br />
somme, pour <strong>de</strong>venir, se substituant au logicien, - le « visionnaire, le<br />
grand poète». En quoi, elle a peut-être raison, non seulement pour<br />
Sartre, mais pour maints philosophes. Alors que la philosophie se donne<br />
aisément pour un exposé objectif <strong>de</strong> cause à effets, <strong>de</strong> postulat à conséquences,<br />
<strong>de</strong> principe à déductions, elle est, le plus souvent, un cas <strong>de</strong><br />
généralisation abusive, une mise en abstraction, un camouflage intellectuel<br />
d'une émotion ou d'un sentiment ou même d'une sensation latente<br />
et vitale.<br />
Ainsi le livre <strong>de</strong> Lilar se poursuit sur différents plans : analyse <strong>de</strong>s<br />
négatives sartriennes, leur réfutation, leur utilisation aux fins d'une<br />
doctrine positive <strong>de</strong> l'amour.<br />
En fait, il est une réponse à une série <strong>de</strong> questions bien posées<br />
(pp. 64-65) dont celle-ci: « Pourquoi Roquentin, ayant su communiquer<br />
avec autrui à travers la mélodie, le philosophe ne le peut à travers<br />
l'expérience amoureuse?» Relatives, ces questions, aux doctrines <strong>de</strong><br />
l'absur<strong>de</strong>, <strong>de</strong> l'angoisse et du mépris, elles sont, comme leur réponse,<br />
d'ordre philosophique, métaphysique, mais surtout psychologique.<br />
Suit la <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> ce que Suzanne Lilar intitule: la problématique<br />
sartrienne <strong>de</strong> l'amour. Curieuse psychanalyse qui spécule, non<br />
sur la passivité et l'obéissance, mais sur la lucidité défensive et même<br />
agressive du patient. Interrogation pressante du texte, <strong>de</strong>stinée à mieux<br />
mettre au jour les raisons <strong>de</strong> « l 'horreur sartrienne du corporel ». C'est à<br />
ce moment que Suzanne Lilar, cherchant les causes d'une telle détestation,<br />
a été aidée par Sartre lui-même quand il publia Les Mots.<br />
De l'idée <strong>de</strong> l'impossible communication entre les êtres, passant<br />
à celle du secret ou <strong>de</strong>s secrets, ensuite, à celle <strong>de</strong> protection <strong>de</strong> ces<br />
mêmes secrets, Sartre en révéla quelques-uns, en effet, dans Les Mots.<br />
Parmi ceux-ci, la lai<strong>de</strong>ur. Quand bien même Sartre exagérerait sa<br />
lai<strong>de</strong>ur (le trouve-t-on si laid?), il n'est pas douteux qu'elle a été un<br />
motif <strong>de</strong> séparation et d'intérieurisation. Pensons à Corbière qui s'éloigna<br />
<strong>de</strong>s autres autant qu'il le put et <strong>de</strong> toutes les façons. Sa lai<strong>de</strong>ur, réelle<br />
et autrement gran<strong>de</strong> que celle <strong>de</strong> Sartre, <strong>de</strong>vint très tôt consciente, on<br />
s'en souvient, à la suite d'une réflexion dédaigneuse, d'autant plus<br />
cruelle qu'elle fut, par hasard, entendue. Douloureuse obsession au<strong>de</strong>dans,<br />
pitoyable comédie au-<strong>de</strong>hors, la lai<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> Corbière détermina<br />
son comportement, la constante raillerie <strong>de</strong> soi-même et jusqu'à l'inspiration<br />
tant <strong>de</strong> ses thèmes que <strong>de</strong> sa tonalité. Pour Sartre (comme<br />
pour Corbière d'ailleurs) une compensation insigne, seule projection<br />
possible ou protection efficace : écrire. Seule le livre est digne <strong>de</strong><br />
l"audition suprême. Encore ne s'agit-il pas <strong>de</strong> n'importe quel livre,<br />
mais d' « une espèce <strong>de</strong> livre» qui laisserait <strong>de</strong>viner « <strong>de</strong>rrière les<br />
mots imprimés, <strong>de</strong>rrière les pages, quelque chose qui n'existerait pas,<br />
qui serait au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> l'existence ... » (p. 93). Cette phrase, <strong>de</strong><br />
Sartre, c'est du pur Mallarmé, non par le style bien sûr, mais par la