DIGITHÈQUE - Université Libre de Bruxelles

SÉANCE DE RENTRÉE DU 4 OCTOBRE 1967 19
de tout ce que nous avons ressenti, et qui nous a marqués.
Les jeunes perçoivent dans l'immédiat, dans la dureté de
l'immédiat, et leur impression ne peut être, en plus de cet
impact immédiat, que le résultat de choses apprises, non de
choses vécues et perçues.
Le résultat - que ce soit opinion ou réaction - ne saurait
être le même.
Percevant sans cette correction, bonne ou mauvaise due
aux longues expériences antérieures, percevant directement les
événements immédiats, la jeunesse de tous les temps est tout
naturellement marquée par son présent. En d'autres termes,
les événements d'aujourd'hui nous frappent aussi, mais ils ne
frappent pas un récepteur neuf et ainsi, l'effet ne peut être le
même.
Songeons un instant, nous qui sommes des hommes mûrs,
mais d'âges différents, nous qui n'avons en commun que de
n'être plus considérés comme jeunes par les jeunes, songeons
à ce qui nous a marqués quand nous avions vingt ans.
Pour les uns, ce seront les séquelles de la grande convulsion
de 1914-1918, le désarroi, le désabusement devant les
espoirs un instant formés et le renouveau de ce que l'on croyait
mort. A cela, pour certains d'entre nous s'ajouteront des
images, des images vraies qui se rapportent à cette époque.
Que voulez-vous, moi aussi je ne puis évoquer pour ce temps
que des événements vécus. Et pour moi, remarquez-le, comme
pour ceux qui ont maintenant vingt ans, comme pour vous
aussi, collègues et auditeurs plus jeunes, l'image des tranchées
de 1914-1918 est seulement de l'histoire. Mais quel que soit le
moment où l'on commence, il en est un pour lequel existent
des images réelles : ce seront les premiers avions allemands
de 1914, ce seront les premières perquisitions, ce sera la lutte
contre le dénuement et la famine, ce sera cette première prise
de conscience de ce qu'une forme de mensonge peut être un
acte de courage, un devoir, et de ce que cela comporte comme
conséquences, sur nos traditionnelles conventions du bien et
du mal.
Pour d'autres, mais pour ceux aussi de ma génération qui
avaient la faiblesse de se croire jeunes encore en 1930, ce sera
la montée de l'hitlérisme, mais cette montée vécue et ressentie
qui est bien autre chose que la lecture des journaux et des