DIGITHÈQUE - Université Libre de Bruxelles

CHRISTIANISME ANTIQUE ET PENSÉE PAÏENNE 51
le secours de ce que nous appellerions en langage chrétien la
grâce. Il est très certain que dans cette perspective des religions
de salut, l'idée d'un Dieu souffrant et mourant, que Celse
raille avec tant de hauteur, était parfaitement familière et normale:
elle est au cœur de la théologie des cultes à mystères. La
mythologie classique elle-même en offre des exemples: Asclépios,
Dionysos, Héraclès sont explicitement mentionnés par
Justin qui, tout en répudiant ces légendes, les utilise cependant
à des fins pédagogiques, pour faire accepter son message par
les païens : «Quand nous disons que le Verbe, le premier-né de
Dieu, Jésus-Christ notre maître, a été engendré sans opération
charnelle, qu'il a été crucifié, qu'il est mort et qu'après être
ressuscité il est monté au ciel, nous n'admettons rien de plus
étrange que l 'histoire de ces êtres que vous appelez fils de
Zeus (19). » Pour lui, ce ne sont là que fables absurdes et immorales.
Pour le païen croyant, la passion d'Attis, d'Osiris ou
d'Héraclès, bien que se situant aux origines lointaines de
l'humanité, n'en offre pas moins une réalité indéniable.
On a dit souvent qu'entre la conception juive et chrétienne
du Créateur et de la création et les idées de la philosophie
païenne en la matière il y avait une totale incompatibilité.' La
chose n'est pas douteuse, si l'on considère le platonisme à
l'état pur, et la doctrine chrétienne à l'état pur. Mais est-il bien
sûr que la masse des fidèles ait fait clairement la distinction
entre la création ex nihilo, telle que l'enseignent la Bible et la
théologie ecclésiastique, et la mise en forme par le Démiurge
d'une matière préexistante et éternelleP On est en droit d'en
douter lorsqu'on voit Justin Martyr lui-même employer à ce
propos des formules singulièrement ambiguës, et ceci, semblet-il,
en toute candeur et non pas simplement pour essayer de
gagner les païens en adaptant son langage au leur (20) .
De même, nous sommes très sensibles aujourd'hui - et
toute une série de travaux récents nous y ont rendus attentifsà
la différence entre la notion philosophique païenne de l'immortalité
de l'âme et la notion chrétienne de la résurrection des
corps (21). Celse et Porphyre l'ont soulignée avec toute la force
CD) l Apol., 21, 1.
(20) Cf. l Apol., 10, 2 et 59, 1.
(21) Cf. en dernier lieu, O. CULLMANN, Immortalité de l'lime ou
Résurrection des morts? Neuchâtel-Paris, 1956.