DIGITHÈQUE - Université Libre de Bruxelles

L'aliénation et les avatars de l'ontologie
par Julien BALLlU,
Assistant à l'Université
Récemment, l'aliénation a de nouveau attiré l'attention,
lors de la discussion qui s'est tenue dans la revue Esprit
entre Domenach et Lefebvre C). Domenach voulait « en finir
avec l'aliénation », ce « concept-hôpital », comme il dit, « où
s'accumulent les maladies du siècle et qui ne fait que les
aggraver ». Lefebvre, lui, accuse « l'offensive contre l'aliénation
», qui se tient actuellement tant à l'Est qu'à l'Ouest, et
qui des deux côtés ne peut avoir que des résultats néfastes.
L'aliénation, nous dit Domenach, est devenue mal du
siècle; elle n'est plus seulement la réalisation du travail de
l'homme dans un produit qui lui devient étranger; elle est
sentiment d'étrangeté et d'exil de l'homme moderne par rapport
à sa technique, par rapport à la nature, par rapport aux
autres hommes. Au cinéma, au théâtre, on nous décrit le sentiment
d'un absurde généralisé; l'aliénation devient la matière
première de la production littéraire, elle s'introduit dans
l'appareil conceptuel des sciences sociales, elle se fait l'idéologie
des mouvements nationalistes des peuples opprimés et des
minorités croyant l'être. Cette maladie, partout choyée dans
tous ses symptômes, est devenue maladie non seulement imaginaire,
mais incurable. On s'y établit, acceptant l'aliénation
comme l'état naturel de l'homme, indispensable condition
humaine que la désolation des temps modernes ne fait qu'illustrer.
Domenach conclut donc que le concept n'a plus aucun
pouvoir critique, qu'il ne peut contribuer qu'à aggraver le mal
qu'il prétend guérir, et qu'on ferait mieux de l'abandonner.
(1) DOMENACH, Esprit, déc. 1965. - LEFEBVRE et DOMENACH, Esprit,
mai 1966.
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