DIGITHÈQUE - Université Libre de Bruxelles

BIBLIOGRAPHIE 383
par le stalinisme, les travailleurs n'éprouveraient-ils pas le besoin de
rechercher dans un autre monde l'espoir d'une compensation à la situation
défavorisée qui est la leur dans celui-ci P Et ceci n'expliquerait-il pas
en partie le succès des organisations syndicales chrétiennes qui, en plus
d'une action terrestre immédiate, promettent une telle revanche dans
l'au-delà P Sans doute, Guy Spitaels estime-t-il que les facteurs sociologiques
l'emportent en l'occurrence sur les facteurs d'ordre philosophique.
Faute de recherches concrètes en ce domaine, nous ne sommes
pas en mesure d'apprécier la justesse de ce point de vue: nous ne pouvons
qu'espérer, avec lui (p. 66), que de telles recherches puissent être entreprises
à l'avenir ..•
Un aulre point de l'exposé suscitera probablement des réactions en
sens divers: lorsque l'auteur voit dans les organisations syndicales belges
des forces centripètes au sein d'un Etat belge animé surtout de forces
centrifuges, et lorsqu'il écrit (p. 82) : « notre sentiment est toutefois que
si la rupture intervient, la responsabilité en incombera davantage aux
organisations politiques qu'au monde du travail », on ne peut certes que
le louer de cette franchise et de ce courage dans le diagnostic. Ce
« sentiment» est d'ailleurs étayé par un raisonnement qui ne manque
pas d'une certaine logique. Il ne nous a toutefois pas paru entièrement
convaincant. Les principales forces centrifuges, en Wallonie tout au
moins, sont étroitement liées au mouvement syndical (le M.P.W., Rénovation
wallonne) et c'est par l'intermédiaire de celui-ci qu'elles exercent,
nous semble-t-il, une pression sur les institutions et organisations politiques.
Guy Spitaels n'ignore pas le fait, mais n'estime pas devoir pour
cela modifier fondamentalement son diagnostic. Ici aussi, seule une
recherche sociologique sur l'importance et la nature réelles des forces
centrifuges et des forces centripètes au sein de l'Etat belge pourrait
éclairer quelque peu un avenir incertain.
Sur un troisième et dernier point, nous souhaiterions nuancer l'analyse
de l'auteur. Celui-ci est convaincu non sans de légitimes raisons, du
processus de centralisation qui caractériserait la négociation et la conclusion
des accords collectifs de travail (p. 78). Il est vrai, comme il l'écrit,
que « c'est au niveau macro-économique que se prennent toutes les déci·
sions importantes et que se jouent l'expansion et le déclin des
régions» (p. 89). Il n'empêche. L'évolution en ce domaine nous paraît
dialectique plus que linéaire. Les syndicats choisissent, en fonction
d'opportunités tactiques, le niveau qui leur paraît le plus favorable pour
le développement de leur action, que ce soit celui de l'entreprise, celui
de la profession ou celui de la nation. Et, par-delà les accords collectifs
sectoriels, les délégations syndicales ne se font pas faute de revendiquer
de substantiels avantages auprès des entreprises de pointe ...
Voici donc un ouvrage qui, pour le lecteur profane, constitue une
excellente initiation au mouvement syndical en Belgique et qui, au
lecteur initié, fait découvrir et comprendre ce qu'il croyait savoir. Parce
qu'il établit avec rigueur le bilan des connaissances en ce domaine, il
porte en filigrane un premier inventaire des recherches sociologiques à
entreprendre en un champ d'investigation encore trop peu exploré.
Marcel BOLLE DB BAL.