DIGITHÈQUE - Université Libre de Bruxelles

DROIT, LOGIQUE ET ARGUMENTATION 389
à l'autre. L'intervention du juge est à proscrire, car elle ne
peut que fausser le fonctionnement de la justice.
Cette conception du droit, qui a dominé pendant près de
cent ans, et n'a commencé à se modifier que vers la fin du siècle
dernier, ne pouvait théoriquement faire aucune place à la
théorie de l'argumentation, à l'art de persuader et de convaincre,
puisque la personnalité du juge ne devait jouer aucun
rôle dans l'administration de la justice.
Prenons un exemple, l'article 393 de notre Code pénal, qui
se lit : « L 'homicide avec intention de donner la mort est qualifié
meurtre. Il sera puni de travaux forcés à perpétuité. »
Le rôle du juge consiste à appliquer la loi aux cas particuliers.
On analysait son raisonnement comme un syllogisme (ce
qui est d'ailleurs inexact techniquement), dont la majeure était
fournie par la règle de droit, la mineure par la constatation
que, en l'occurrence, les conditions de fait se trouvent ou ne se
trouvent pas réalisées, la conclusion fournissant la sentence et,
le cas échéant, la condamnation du prévenu. En logique formelle,
nous pourrions présenter ce raisonnement de la façon
suivante : pour tout x, si lx, alors gx. Or A est dans les conditions
qui permettent de le substituer à x, donc lA; il en résulte
gA : c'est-à-dire que la sentence devant se conformer à la loi,
A doit être puni de travaux forcés à perpétuité.
Remarquons, en passant, que la formule « sera puni de
travaux forcés», quoique énoncée dans la forme d'un indicatif
futur, est en réalité une prescription adressée au juge et lui
ordonnant de punir le meurtre de travaux forcés à perpétuité.
Le juge, en condamnant l'accusé, a-t-il simplement
appliqué les lois de la logique? Evidemment, non, car il a fait
plus: il doit constater que telle règle est d'application, que les
faits sont établis et qu'ils doivent être qualifiés conformément
à la loi; c'est alors seulement qu'il peut appliquer le schéma de
raisonnement de la logique formelle. Il existe donc un ensemble
de conditions, concernant aussi bien l'établissement des faits
que de la règle applicable, qui débordent les cadres de la logique
formelle.
Pour que la sentence soit juste, il faut, tout d'abord, que
les faits soient établis : il ne suffit pas d'une accusation pour
condamner le prévenu; il faut encore prouver les faits qui lui
sont imputés: il faudra fournir au juge tous les éléments qui