DIGITHÈQUE - Université Libre de Bruxelles

Pascal à la recherche d'une physique
de la persuasion
par Madeleine DEFRENNE,
Professeur à l'Université de Bruxelles
A. LE DROIT DE PERSUADER
Georges Poulet a fait franchir à la critique contemporaine
un pas considérable lorsqu'il s'est mis s)1stématiquement à
rechercher le parcours habituel suivi par la pensée créatrice
chez un écrivain, montrant comment tout ce que brasse l'esprit
s'organise invariablement selon tel tracé ou telle forme.
Avoir découvert que les héroïnes de Racine ne vivent le
présent qu'en fonction du passé ou de l'avenir; que les images
hugoliennes se développent à partir d'un chaos indistinct, lointain
d'abord, qui se rapproche, se précise, engendre contours
et figures puis s'éloigne et s'efface, voilà qui éclaire tout un
champ de phénomènes littéraires.
Georges Poulet, cependant, qui a étudié, dans quelques
pages célèbres des Pensées, les représentations circulaires Cà
vrai dire reprises à des théologiens antérieurs) s'est-il avisé que
Pascal a été intéressé par un problème analogue?
Ce problème, pour le comprendre et l'expliquer, il faut en
chercher les racines dans une des préoccupations fondamentales
de Pascal, celle qui se fait jour avec netteté dès la lettre à
Christine de Suède, en juin 1652. Le jeune inventeur, présentant
sa machine arithmétique, assure non sans orgueil parmi
les compliments d'usage
J'ai une vénération toute particulière pour ceux qui sont élevés au
suprême degré, ou de puissance ou de connaissance. Les derniers
peuvent, si je ne me trompe, aussi bien que les premiers, passer
pour des souverains. Les mêmes degrés se rencontrent entre les
génies qu'entre les conditions; et le pouvoir des rois sur les sujets