DIGITHÈQUE - Université Libre de Bruxelles

E. NOULET 293
Qui écrit sur Valéry devrait avoir présente à la mémoire
une double page (221 et 222), véritable condensé des principes
critiques, non seulement quant à l'appréciation de sa propre
œuvre poétique, mais quant à l'appréciation de la littérature en
général. Elle est trop longue pour être reproduite ici CS). Elle
est essentielle. Elle révèle ses intentions d'écrivain ou plutôt
son absence d'intentions ainsi que sa totale désaffection à
l'égard de la littérature. Il y répète ce qui a tant indigné, à
savoir que son œuvre n'est, pour la plus grande part, que le
résultat « des demandes ou circonstances fortuites et que, sans
ces sollicitations ou nécessités extérieures, elle n'existerait pas».
Si l'on veut à tout prix lire des confessions dans les
Cahiers, on remarque qu'elles sont d'un ordre singulier; elles
consistent, plutôt qu'en descriptions de sentiments, dans
l'explication d'un Iuécanisme d'autodéfense, bien plus révélateur
de sa nature intime que tout récit direct. Valéry avoue
en n'avouant pas. Ce qu'il appelle « son regard de détachement»
et sa constante mise en garde le sauvent, en tout juste
et sain orgueil, de l'indiscrétion d'autrui, comme de toute falsification.
C'est ce qui résulte d'une disposition qu'il fait remonter
à ses jeunes ans:
Je pensais, quand on me grondait : ce ne sont que des associations
d'idées et je me rehaussais par cette conscience puérile d'un mécanisme
de l'adversaire - que je méprisais dans son autorité ...
Je n'ai pas besoin de dire que cette même tendance se
trouve décrite dans le reste de la page, à travers l'âge.
A la page 235, un projet de monologue (dont il faudrait
pour bien faire reproduire la disposition typographique)
enferme l'horizon mental tout entier. De ce programme, nous
extrayons seulement une partie comme aussi la réflexion qui
le suit, prouvant que si Valéry répugnait à la confidence particulière,
il possédait, on ne peut le nier, la plus fine et la plus
vive sensibilité.
Dans les premiers mois de 1934, les longs développements
succèdent aux formules plus brèves; les uns et les autres
contribuent à prendre dans leurs filets ce psychique fuyant,
CS) Je ne doute pas qu'elle sera reproduite en entier dans la prochaine
édition des Cahiers. Elle commence ainsi: « J'ai lu un livre ... »