DIGITHÈQUE - Université Libre de Bruxelles

LE SYMBOLE DANS LA POÉSIE DE VERHAEREN 439
que j'aime est donc représentée par l'objet-souvenir qui, en
quelque sorte, réveille ma passion: le symbole se pare d'une
charge affective en même temps qu'il renvoie à la personne
en qui elle s'est formée C). Ce symbole est un symbole riche;
d'autres, qui reflètent une réalité exclusivement matérielle,
seront ici de moindre importance.
Ceux-ci se bornent à remplacer - d'ailleurs imparfaitement
- ce à quoi ils sont associés en dehors de ma volonté et
de ma sensibilité : nous pouvons les nommer des pseudo-symboles.
Le mot « table», par exemple, pris dans l'abstrait,
signifie un objet vis-à-vis duquel je ne ressens, en principe, ni
répugnance ni attraction, et me renseigne, par conséquent, sur
un monde totalement extérieur à mon c( moi» profond; sa
caractéristique est d'être. quant à sa forme, arbitraire, et donc
interchangeable, puisque son sens procède de la convention.
En tant qu'il a pour but la communication, le langage est
constitué de ces pseudo-symboles (ou cc signes ») dont nous
parlons; au philologue échoit la tâche de l'étudier sous cet
aspect; nous préférons l'envisager sous l'angle de son expressivité,
qui va de pair avec sa richesse symbolique.
L'image poétique - la métaphore - transfigure le réel,
en dévoile la beauté (nous ne disons pas qu'elle l'idéalise);
elle est, plutôt qu'un symbole, un euphémisme, quand l'âme
du poète n'est pas mise en cause ou l'est à peine. Tels vers
d'Eluard, extraits du Blason des fleurs et des fruits:
Capucine rideau de sable
Bergamotfe berceau de miel
Renoncule théâtre blanc
Pamplemousse l' œil de la cible
sont formés d'images purement gratuites, dans la mesure où
l'auteur ne semble pas intervenir directement dans ce qu'il
décrit. Combien plus « vraie» est la plainte du pauvre Lélian :
Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville.
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur?
(1) Cf. CHARLES-BAUDOUIN, Le symbole chez Verhaeren, 4 8 édit.,
Genève, Mongenet, 1924, p. 12.