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Symposium - AIC

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Annie Hourcade Sciou<br />

il l’a fait.<br />

Je voudrais suggérer que la critique que Diotime met en œuvre de la conception de l’amour<br />

par Phèdre est également présente dans la définition même qu’elle donne d’Eros, prenant l’exact<br />

contrepied de la définition d’Eros donnée dans les vers manquants d’Hésiode. Un tel état de fait est<br />

plus particulièrement prégnant dans le passage suivant dans lequel Diotime dresse le portrait d’Eros.<br />

Comme sa mère il est pauvre, rude et malpropre ; « […] à l’exemple de son père en revanche, il agit<br />

par préméditation (ἐπίβουλός) en vue de ce qui est beau et de ce qui est bon, il est viril (ἀνδρεῖος),<br />

résolu (ἴτης) et ardent (σύντονος), c’est un chasseur redoutable (θηρευτὴς δεινός) ; il ne cesse de<br />

tramer des ruses (µηχανάς), il est passionné de savoir (φρονήσεως ἐπιθυµητὴς) et fertile en expédients<br />

(πόριµος), il passe tout son temps à philosopher, c’est un sorcier redoutable (δεινὸς γόης), un<br />

magicien (φαρµακεὺς) et un sophiste (σοφιστής) » (203d4-8).<br />

De manière assez inattendue, Diotime dresse ici le portrait d’un Eros qui serait mi-Achille,<br />

mi-Orphée. D’Achille, sans aucun doute, il aurait le courage et l’ardeur, le caractère résolu<br />

également ; comment en serait-il autrement puisque l’amour produit son effet avant tout sur le cœur<br />

des hommes et des dieux ? Mais d’Orphée, l’Eros de Diotime posséderait aussi plusieurs traits. Dans<br />

le registre irrationnel, Eros aurait, comme Orphée, un don pour la magie, la capacité de captiver et de<br />

charmer ; l’usage par Diotime de la référence au σοφιστής ressortit d’une orientation similaire : Eros<br />

est capable de charmer au même titre que le sophiste charme par son discours et Orphée par sa<br />

musique ; l’Eros de Diotime est un chasseur comme le sophiste mais aussi comme Orphée qui est<br />

capable de captiver, par son art, aussi bien les hommes que les animaux les plus sauvages. Mais<br />

comme Orphée également, l’Eros de Diotime présenterait la caractéristique d’user avec talent de sa<br />

raison pour arriver à ses fins. De fait, à son propos, elle use du terme de ruse (µηχανή), terme que<br />

précisément Phèdre utilise lui aussi par l’usage du verbe : διαµηχανᾶσθαι (179d6), mais contrairement<br />

à Diotime à des fins critiques, précisément pour suggérer que l’amour est absent du comportement<br />

d’Orphée. Une remarque similaire peut être faite concernant l’usage, par Diotime, de l’adjectif<br />

πόριµος. Plus encore, semble-t-il, c’est l’usage, par Diotime, de l’adjectif ἐπίβουλός appliqué à Eros<br />

qui est particulièrement intéressant. On en trouve peut-être un écho dans les vers tronqués d’Hésiode,<br />

tout particulièrement dans l’expression ἐπίφρονα βουλήν. Dans les deux cas, en effet, c’est moins<br />

l’idée de stratagème ou d’expédient qui est présente qu’un recours à l’anticipation et à la prudente<br />

délibération. L’Eros d’Hésiode et de Phèdre n’a rien à voir avec la ruse et avec la raison ; l’Eros de<br />

Diotime est sophiste, parce qu’il charme mais aussi parce qu’il use d’un savoir de type pratique ; il<br />

est aussi philosophe car il est passionné de sagesse φρονήσεως ἐπιθυµητὴς.<br />

Sans aucun doute, même si elle n’est pas abordée directement, la question de la constitution<br />

de l’âme et des rapports entre ses parties est présente dans le Banquet, avec un intérêt tout particulier<br />

accordé au thumos. L’approche de Phèdre est intéressante car elle permet d’envisager la possibilité,<br />

pour l’âme, d’être exclusivement dominée par son thumos, sans que pour autant cette domination ne<br />

conduise à sortir des cadres de la cité. Bien au contraire, Phèdre prend appui sur la définition de<br />

l’amour qui, en définitive, le met au service des valeurs collectives et fait de lui un auxiliaire<br />

indispensable des pratiques éducatives de la cité 9 car « sans cela, ni cité ni particulier ne peuvent<br />

réaliser de grandes et belles choses (178d2-4). L’amour dans ce cas, il est vrai – en ce sens Diotime a<br />

sans aucun doute raison –, se confond avec la passion de l’honneur et de la renommée.<br />

9 On pourra, toutes proportions gardées, se référer à Thucydide, II, 43.1. Voir sur la question Sara Monoson, « Citizen as<br />

Erastes: Erotic Imagery and the Idea of Reciprocity in the Periclean Funeral Oration », Political Theory, 22 (2), 1994,<br />

pp. 253-276.<br />

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